« J’ai préféré les recommandations suédoises aux mesures strictes tchèques »

Stockholm, photo: ČTK/AP/Jessica Gow

Greta Stocklassa, une étudiante tchéco-suédoise à l’école de cinéma praguoise de la FAMU, était en stage à New York en mars quand la peur de la pandémie Covid-19 se répandait sur la ville, la poussant à rentrer en Europe. La réalisatrice de documentaires en herbe a choisi de se rendre en Suède, où il n’y avait pas de confinement en vigueur, à la place de la Tchéquie, l’un des premiers pays à imposer des mesures strictes afin de limiter la propagation du virus. Dans cette interview accordée à Radio Prague Int., Greta Stocklassa nous éclaire sur son choix.

Greta Stocklassa,  photo: Archives de Greta Stocklassa

Pouvez-vous nous dire quelques mots sur vos origines et vos parents ? Combien de temps avez-vous passé en Suède et en République tchèque ?

« Je suis née en République tchèque. Mes parents s’y sont rencontrés avant la Révolution de Velours (1989). J’ai vécu à Prague jusqu’à mes 12 ans et ensuite mon père, qui est suédois, a trouvé un emploi en Suède. Nous y avons donc déménagé en 2005. J'ai obtenu mon diplôme d'études secondaires en Suède, j'y suis restée jusqu'à mes 19 ans. Ensuite, j’ai décidé que je voulais étudier le cinéma à Prague donc j’y suis retournée et j’y vis depuis. »

Vous êtes actuellement en Suède mais vous auriez très bien pu être en République tchèque. J’aimerais vous demander pourquoi dans quelques instants. Mais avant tout, nous entendons beaucoup de commentaires sur la méthode suédoise pour lutter contre le coronavirus, où le gouvernement a fait le choix de ne pas mettre en place de confinement. Concrètement, quelles sont les mesures mises en place en Suède ?

Anders Tegnell,  photo: ČTK/AP/Claudio Bresciani
« Je crois que la perception qu’ont les étrangers de la Suède est que le pays ne fait rien, comme s’il vivait dans une sorte d’anarchie. Ce n’est pas du tout le cas. Je crois que la principale distinction réside dans le fait que le gouvernement n’impose pas de restrictions aux gens mais qu’il les recommande. Il les présente comme des recommandations. Le gouvernement s’appuie sur de nombreux experts, des experts de la santé. J’ai suivi le traitement de l’actualité en République tchèque et ici, et ce que j’en retire en Tchéquie c’est qu’Andrej Babiš et le gouvernement prennent beaucoup de place dans les médias. Ici, vous n’avez pas cela. Vous avez Anders Tegnell (épidémiologiste en chef de la Suède ndlr), notre expert santé n°1, et le gouvernement est plus en retrait par rapport à lui. Il en est le visage. Bien sûr, ils suivent ses recommandations. C’est parce que la constitution suédoise est faite ainsi. Le pouvoir exécutif est dans les mains du gouvernement qui doit cependant écouter les autorités compétentes. »

Les suédois respectent-ils les recommandations ? Quand ils ne sont pas contraints d’agir d’une certaine façon, respectent-ils quand même ce qui n’est qu’une recommandation ?

« Je dirais oui et non. Je suis actuellement à la campagne, dans un très, très petit village qui ne compte qu’un magasin et c’est à peu près tout. Il y a des panneaux expliquant qu’il faut se laver les mains, garder ses distances. Ils ont même installé des plexiglas dans les épiceries de telle sorte que les gens derrière le comptoir soient protégés. Ma sœur - qui vit à Stockholm- m’a confié que les gens ne respectent pas trop les consignes là-bas. Parfois, dans les restaurants, les gens sont proches les uns des autres. Mais, par exemple, les déplacements ont beaucoup baissé. C’est 90% en moins comparé à la même période l’an passé. Je pense que globalement les gens respectent les règles. »

Stockholm,  photo: ČTK/AP/Jessica Gow

En République tchèque, le port du masque est obligatoire. Est-ce les gens le porte volontairement en Suède ?

« Non, ils n’en portent pas. Mais ils le font quand ils prennent le métro ou quand ils sont dans des lieux avec beaucoup de monde. »

Quid des écoles ? Sont-elles en majorité toujours ouvertes en Suède ?

« Je pense que oui. Ils ont mis en place les cours à distance pour les universités mais les écoles sont restées ouvertes pour maintenir le lien social. Pour moi, la plus grosse différence, la raison pour laquelle la Suède a été capable d’agir ainsi, est parce qu’il y a globalement une grande confiance dans le gouvernement en place, beaucoup plus qu’en République tchèque. Le gouvernement a confiance en les citoyens et vice-versa. C’est une relation d’égal à égal. Je ne dis pas que cette méthode du ‘non-confinement’ aura été la bonne partout mais cela fait sens que ça se passe ici. »

En mars, vous êtes à New York et vous comprenez que vous devez rentrer. Vous pouviez voir la situation en Tchéquie et celle en Suède, et vous avez choisi la Suède. Est-ce que c’est cette confiance quasi aveugle entre les gens et le gouvernement et un discours moins autoritaire qui vous ont fait choisir la Suède ?

« Oui. Début mars, de New York, je voyais la situation empirer en Europe. J’ai senti que ça allait arriver ici, aux Etats-Unis avec son terrible système de santé, et j’ai décidé de rentrer en Europe. À ce moment, la République tchèque venait d’imposer le confinement et toutes les restrictions - des mesures très contraignantes. À l’inverse, la Suède restait plutôt ouverte bien que le pays comptait beaucoup plus de cas de Covid-19. Pour moi, c’était révélateur de l’approche de la situation qu’avait chaque pays. »

La Tchéquie est très rapide pour prendre des mesures sur la base de la peur et c’est ce que j’ai commencé à ressentir : il y a très vite eu beaucoup de restrictions.

« Je me souviens de la République tchèque en 2015 au moment de la crise des réfugiés - il n’y en avait aucun dans le pays, mais c’était un des pays les plus xénophobes d’Europe. La Tchéquie est très rapide pour prendre des mesures sur la base de la peur et c’est ce que j’ai commencé à ressentir : il y a très vite eu beaucoup de restrictions. C’est la méthode opposée en Suède. Ils ne disent pas qu’il n’y aura pas de restrictions mais ils ont reconnu depuis le début que de telles mesures devaient être temporaires. Elles ne peuvent pas s’éterniser pour deux raisons. La première est que vous ne pouvez pas arrêter la société pendant des mois ou des années. Vous avez besoin qu’elle continue de tourner si vous voulez maintenir cette société globalisée. La seconde est qu’ils savaient que les gens ne se feraient pas à ces mesures, qu’ils protesteraient contre - ce que vous pouvez voir en fait en République tchèque après plus d’un mois. Les gens n’en peuvent plus de porter ces masques sur le visage et ont commencé à enfreindre les règles. La méthode en Suède a donc été d’imposer ces mesures progressivement, quand elles sont nécessaires. En République tchèque, il y a eu des mesures très dures très tôt ce qui m’a rendue très sceptique quant à ce qui va se passer plus tard et aussi parce que je n’ai aucune confiance dans le gouvernement actuellement. »

Donc vous diriez que ces réponses différentes à la situation traduisent le caractère opposé des deux nations ?

« Je dirais que oui. Je crois que cette réaction est typiquement suédoise en fait : ne pas dire aux gens ce qu’ils doivent faire mais leur donner des recommandations - et de cette façon respecter l’intelligence des gens et le fait que les gens se soucient les uns des autres et doivent agir individuellement et prendre leur responsabilité individuellement. Bien sûr, cela a des avantages et des inconvénients. Le gouvernement a commis des erreurs. Je pense qu’ils auraient dû être plus transparents. Mais bien sûr, je ne suis pas non plus une experte et je pense qu’il est trop tôt pour dire de quelle façon on aurait dû agir. »

Qu’en est-il de la réponse tchèque ? Qu’est-ce que cela dit des Tchèques ?

'Sois prévenant,  limite le contact personnel',  Prague,  photo: Štěpánka Budková
« Pour ce qui est du gouvernement, je pense que la crise a été utilisée par un mouvement populiste, une nouvelle fois, pour renforcer le pouvoir ou montrer qui a le pouvoir. Je trouve toujours que c'est bizarre quand je lis la façon dont ils se vantent de la réussite de la République tchèque en la matière, l'un des meilleurs pays à cet égard. Je crois que c’est une manière très égoïste de gérer le problème. Si vous êtes un pays de l’Union Européenne et que vous voulez vivre dans une société globalisée, vous ne pouvez pas simplement prétendre pouvoir vous enfermer à l'intérieur et verrouiller le monde extérieur. Je crois que l’usage de la peur a été très caractéristique en ce sens. Le gouvernement a utilisé la peur des gens comme un levier pour mettre en place des mesures qui n’auraient pas été possible autrement - ils ont un précédent à cela dans l’utilisation de la peur pour contrôler les gens. Et bien sûr, quand il est question de santé il n’y a aucun argument contre. Personne n’a veut que les gens meurent, personne ne veut être une menace pour autrui. Je pense donc que l’usage de la peur est très caractéristique. Mais de ce que j’ai lu et entendu, via ma mère et mon petit-ami, c’est que les gens ont commencé à se surveiller : si vous ne portez pas un masque, vous devenez d’un coup quelqu’un de mauvais, comme si vous essayez de tuer quelqu’un presque ! Je crois que les choses s’améliorent de ce point de vue-là, à ce qu’on m’a dit. J’ai aussi vu de belles choses, avec des gens confectionnant des masques et aidant les personnes âgées en leur faisant les courses, je ne peux pas être que critique vis-à-vis des Tchèques. Je pense juste que comme la République tchèque n’a pas une démocratie stable depuis aussi longtemps que la Suède, la situation est plus fragile. »

Certains en lisant ceci pourrait se dire « d’accord, la Suède a plus d’ouverture, moins d’autorité mais la Suède a aussi près de 10 fois plus de morts du Covid-19 que la République tchèque, qui a une population similaire, peut-être que cette liberté, cette ouverture, a un prix trop élevé ?

Hellasgarden,  Stockholm,   ('Éviter les bousculades'),  photo: ČTK/AP/Henrik Montgomery
« Eh bien oui, je peux le comprendre. Bien sûr, le taux de mortalité élevé est terrible. C’est triste que tant de gens soient morts et je crois que plusieurs erreurs se sont produites. La plus grosse a été que dès le début le gouvernement suédois expliquait qu’il fallait protéger les personnes à risque, ce qu’ils n’ont pas fait. Le niveau élevé de morts est lié à la propagation du virus dans les maisons de retraite, ce qui est un grand échec. Mais, parallèlement, on peut voir que le gouvernement suédois, le ministre de la santé, ont maintenu de la cohérence et c’est par ce biais qu’ils aspirent à faire face à la crise. Et cela, du moins pour moi, donne un peu d'espoir à la Suède de s'en sortir. Ils peuvent avoir, comment devrais-je dire, une perte plus élevée au début. Ils ont toujours dit qu’ils ne savent pas comment le virus va agir, s’il y aura une « seconde vague » et ils n’ont toujours pas été dépassés par la capacité à prendre en charge les malades. En un sens, ils ont réussi. Je crois qu'il est difficile de dire, par exemple, avec la République tchèque, ce que la perte, ou le résultat de ces mesures, sera à plus long terme ou dans l'ensemble, au sens large. Beaucoup de personnes vont perdre leur emploi, beaucoup vont se retrouver à la rue. C’est très difficile à dire. »


Version originale de cet entretien réalisé en anglais ici :

https://www.radio.cz/en/section/one-on-one/greta-stocklassa-why-i-chose-open-swedish-approach-over-strict-czech-lockdown