Forum 2000 : pour Marc-Olivier Padis, « le populiste n’a pas d’adversaire, il n’a que des ennemis »

Forum 2000, photo: Hugo Ben Simhon / L'ambassade de France

Marc-Olivier Padis est le directeur d’étude du think tank Terra Nova, un laboratoire d’idées influent en France, d’abord proche du parti socialiste et plus récemment d’Emmanuel Macron. Il était à Prague ce mardi pour participer à un débat sur la question du populisme, une discussion organisée à l’ambassade de France dans le cadre de la conférence internationale Forum 2000. Au micro de Radio Prague, Marc-Olivier Padis a donné sa définition du populisme.

Pourriez-vous présenter le think tank Terra Nova, qui n’est pas forcément connu de nos auditeurs ?

« C’est un centre de réflexion qui a été créé il y a dix ans et qui intervient en France sur beaucoup de sujets politiques en faisant des propositions politiques institutionnelles. Nous avons notamment fait un travail sur le populisme avec deux autres think tank, l’un italien, qui s’appelle Volta, et l’autre allemand, qui s’appelle Das Progressive Zentrum. Cela nous a permis de faire une comparaison européenne du populisme en France, en Allemagne et en Italie. »

Vous êtes ici à Prague dans le cadre du Forum 2000 justement pour parler de cette question du populisme. Avant toute chose, qu’est-ce que le populisme ? Quelle est la définition du populisme ?

Photo illustrative: geralt / Pixabay,  CC0
« Il est souvent difficile de trouver la bonne définition parce qu’il y a beaucoup de thèmes populistes ou d’arguments populistes qui sont utilisés par différents responsables politiques, par exemple la critique de l’Europe, la critique des médias, la critique de l’élite. Mais ce qui caractérise profondément le populisme, c’est la prétention à pouvoir représenter seul la totalité du peuple, vu comme un peuple homogène, et donc de disposer d’une sorte de monopole de la représentation politique, en parlant au nom du vrai peuple, contre des élites qui n’appartiennent pas vraiment à la population, qui ne représentent pas les intérêts du pays. C’est donc quelque chose de profondément hostile au pluralisme, au fait qu’il y a toujours une diversité au sein d’une population. »

Dans votre définition du populisme lors de votre intervention, vous parliez par exemple du fait d’avoir un homme charismatique, cette idée d’aller contre les partis traditionnels, de stigmatiser une population… Finalement, Emmanuel Macron ne fait-il pas du populisme ? Il y a un parti qui ne repose que sur lui, il est ce leader charismatique, il critique aussi les médias et il y a également les boucs-émissaires, les « fainéants » ou « ceux qui ne sont rien »…

« C’est pour cela qu’il faut avoir une définition à mon sens assez précise. Emmanuel Macron a bousculé le système politique français et il a dénoncé ce qu’il appelle ‘l’ordre ancien’ ou ‘le monde ancien’ par rapport au monde nouveau. Mais c’est un peu logique de la part d’un homme politique qui veut gagner des élections, il faut bien qu’il se différencie par rapport aux autres candidats, qu’il montre ce qu’il veut apporter. Et donc il a utilisé certains arguments qui peuvent effectivement s’apparenter au populisme.

Emmanuel Macron,  photo: ČTK
Il y a le côté charismatique mais, Dieu merci, il n’y a pas que des populistes qui sont charismatiques. Il y a aussi des démocrates qui peuvent l’être, par exemple Barack Obama est quelqu’un de très charismatique et pas populiste pour autant. Donc le charisme, cela ne suffit pas. Le fait de dénoncer le système politique en place, ou les vieux appareils, cela fait partie de la compétition électorale et c’est donc normal. En revanche, il n’y a pas chez lui cette dénonciation des médiations politiques, des institutions indépendantes, comme la justice ou la Cour constitutionnelle. Sur les médias, il peut être critique mais il ne dénonce pas les médias en général comme une supercherie démocratique. C’est de ce point de vue-là qu’il se différencie vraiment.

Surtout, ce qu’il a apporté avec lui, c’est un renouvellement de la classe politique qui était indispensable en France, puisqu’à l’Assemblée nationale on a connu un renouvellement de plus de trois quarts des députés. Cela n’était jamais arrivé depuis 1958. Je pense que ça, c’est une réponse au populisme, c’est-à-dire de montrer que le jeu démocratique permet de renouveler l’appareil politique, de ne pas laisser la politique confisquée par des partis anciens qui sont un peu usés. »

Dans votre intervention, vous avez également parlé du fait qu’on pouvait désigner quelqu’un comme populiste et finalement toujours trouver un contre-exemple, quelqu’un qui est plus ou moins populiste. Ce concept est-il vraiment opérant s’il est aussi relatif ? On va toujours désigner son ennemi politique comme un « populiste », puisque cela peut s’apparenter également à une insulte politique…

« Il y a un usage politique du terme dans la controverse politique et électorale. On est toujours le populiste de quelqu’un suivant cet argument. C’est pour ça qu’on ne peut pas en rester à des traits un peu superficiels, il faut aller vraiment au fond de la définition : le populiste, c’est celui qui prétend détenir le monopole de la représentation du vrai peuple contre les autres. C’est-à-dire que le populiste n’a pas d’adversaire, il n’a que des ennemis. Et si quelque chose ne fonctionne pas dans sa politique, ce n’est pas en raison de la complexité du réel ou des choses comme ça, mais c’est parce qu’il y a un complot dressé contre lui. Il y a une proximité très forte entre le discours populiste et la théorie du complot.

Recep Tayyip Erdogan,  photo: ČTK
Une expression qui résume selon moi très bien ce qu’est le populisme, c’est une expression qu’a utilisée le président turc Erdogan dans un discours où il s’adressait à l’opposition : ‘nous nous sommes le peuple, et vous qui êtes-vous ?’, sous-entendu : ‘vous vous n’êtes rien, moi je suis le peuple’. C’est vraiment ça l’essence du populisme, l’idée que le leader réunit en lui seul la totalité du pays, c’est complètement opposé à l’idée de la démocratie pluraliste, qui est une compétition ouverte avec des partis, une confrontation organisée par les élections avec certaines règles, etc. Donc il y a une transgression aussi des règles du jeu démocratique, que l’on voit quand même quand la Cours suprême est attaquée, ou l’indépendance des magistrats… Ce qui n’est pas le cas de la France. »

Vous êtes ici en Europe centrale, à Prague. On a souvent ici cette qualification de ‘populiste’ pour désigner les gouvernements en Hongrie, en Pologne, mais aussi les attitudes des gouvernants face à la crise de réfugiés en Europe. Comment voyez-vous le populisme ici en Europe centrale, dans les pays du groupe de Visegrád ?

« J’ai travaillé plutôt sur la France, l’Allemagne, l’Italie, la Grande-Bretagne, etc. Mais ce que je trouve intéressant à observer c’est qu’il y a effectivement d’abord la critique des institutions européenne, il y a une construction de boucs émissaires externes au pays : les réfugiés, les technocrates bruxellois… qui viennent empêcher le bon fonctionnement du pays. Cela semble assez caractéristique dans la rhétorique des gouvernements hongrois et polonais aujourd’hui.

Marc-Olivier Padis,  photo: Forum 2000
Et puis ce que j’ai trouvé intéressant, ce sont des réflexions liées au fait que ce sont des pays dont les jeunes partent beaucoup, la Pologne et la Hongrie ont perdu beaucoup de jeunes qui vont chercher leur avenir ailleurs. Cela peut provoquer une impression de démoralisation dans le pays pour les gens qui restent, l’impression que le pays n’est plus suffisamment attractif. Il y a quelque chose d’un peu défensif dans ce discours politique, mais ce qui compte surtout c’est la question : ‘est ce que la possibilité d’une alternance politique reste ouverte dans ces pays ?’, une alternance par le jeu électoral. Je trouve que les institutions européennes devraient mettre plus de pression sur ces pays sur le respect des grandes normes démocratiques. »

Est-ce que l’une des causes de l’apparition de ce qu’on pourrait appeler un ‘phénomène populiste’ en Europe ne serait pas un échec de la part des dirigeants européens à satisfaire les aspirations des classes populaires ? On voit par exemple la disparition ou les échecs de la social-démocratie en Europe, du SPD en Allemagne, du Parti socialiste en France, du PASOK en Grèce… Peut-on l’expliquer parce que ces partis ont mené des politiques qui ne convenaient plus aux classes populaires, et que les « populistes » parleraient à ces populations qui ont été délaissées par les partis pour lesquels ils votaient auparavant ?

« Oui, c’est une thèse qui existe, en même temps elle est difficile à généraliser. D’abord, est-ce que l’électorat populiste est vraiment un électorat populaire ? Si on regarde l’électorat populaire, pas seulement en France mais aussi en Grande-Bretagne ou en Allemagne, on voit que c’est un électorat très loin de la politique et donc souvent qui s’abstient. Le premier parti populaire, c’est le parti des abstentionnistes. Maintenant, c’est vrai qu’il y a eu des circonstances conjoncturelles en Europe qui sont la crise financière de 2008, la crise des réfugiés de ces dernières années… qui ont mis en contradiction la politique européenne avec des situations locales. Cela a été plus ou moins mal géré par les gouvernements dans ces différents pays, c’étaient d’ailleurs des situations objectivement difficiles à gérer.

Mais c’est difficile de généraliser, on voit bien qu’effectivement des partis anciens comme le PASOK, ont été balayé en Grèce, là c’était lié à la crise de la zone euro. Le SPD s’affaiblit en Allemagne pour des raisons inverses : parce que lui a participé à la coalition gouvernementale qui a justement imposé ces mesures à la Grèce. En France, l’affaiblissement du PS est davantage lié au fait que l’exercice du pouvoir est toujours une épreuve très compliquée pour les socialistes en France, donc ils se sont affaiblis, divisés, etc.

Forum 2000,  photo: Hugo Ben Simhon / L'ambassade de France
Donc, quand on commence à rentrer dans le détail pays par pays, on a du mal à voir une seule logique finalement, et j’ajoute une chose : tout ce débat sur les réfugiés, extrêmement en Allemagne et en Autriche à juste titre, n’est pas un débat tellement en France, ça n’a pas été un des thèmes importants lors des dernières élections, tout simplement parce qu’il y a très peu de réfugiés qui sont arrivés en France, ou ceux qui sont venus ne faisaient que traverser le pays pour arriver en Suède, en Allemagne, ou en Grande-Bretagne. Et donc contrairement à ce qui se passe en Pologne, en Hongrie, ou même ici en République tchèque, le thème des réfugiés imposés par les quotas européens, n’est pas du tout un thème en France qui s’est imposé. »

Ne peut-on pas considérer que, d’une certaine façon, les populistes s’apparentent assez souvent à l’extrême-droite, que ce soit en France, en Pologne, etc. Quand bien même ils surfent sur des problématiques plus ou moins sociales ou identitaires, n’y a-t-il pas pas un parallèle à faire entre l’extrême-droite et ce qu’on appelle aujourd’hui ‘les populistes’ ?

« Oui dans le fond ça reviendrait à demander pourquoi parle-t-on de populisme, et pas seulement de l’extrême-droite. Alors c’est vrai que la recherche d’un bouc émissaire qui est souvent l’étranger, le réfugié, l’immigré… c’est tout à fait caractéristique de la rhétorique populiste, le côté ‘leader charismatique’, la dénonciation de l’establishment et de l’oligarchie…

Cela dit, il existe aussi un populisme d’extrême-gauche, qui n’est pas xénophobe, qui met plus l’action sur la dénonciation des élites, des forces obscures de l’argent… Vous avez des penseurs qui préconisent la constitution d’un populisme de gauche. Par exemple un philosophe argentin mort il a quelques années qui s’appelait Ernesto Laclau, et qui a écrit avec une philosophe belge qui enseigne aux Etats-Unis, Chantal Mouffe, préconise la constitution d’un populisme de gauche pour contrer le populisme d’extrême-droite avec l’idée que le peuple se constitue à la faveur d’une confrontation politique. Et ce que Mouffe et Laclau reprochent aux sociaux-démocrates, c’est au fond avoir eu un discours trop consensuel par rapport à la droite, au néolibéralisme… Et d’avoir abandonné le combat d’une certaine façon. Et donc ils préconisent de recréer une unité populaire autour de la lutte contre le néolibéralisme, et Chantal Mouffe a d’ailleurs beaucoup inspiré à la fois Podemos en Espagne et Jean-Luc Mélenchon en France.

Mais on voit bien que le prix à payer pour cette stratégie populiste de gauche, c’est à la fois la dénonciation de l’Union Européenne et de la technocratie bruxelloise dans la contrainte économique européenne, et puis c’est une stratégie très conflictuelle qui aura du mal à faire l’épreuve du pouvoir. C’est aussi un autre problème du populisme d’opposition, le fait que le populisme d’exercice du pouvoir soit une autre dimension compliquée. Je ne suis pas convaincu par cette thèse par l’idée qu’il faudrait constituer un populisme de gauche, parce que c’est quand même toujours cette illusion fondamentale que quelqu’un peut monopoliser la parole du peuple. Je pense que le peuple est divers et que la démocratie est liée au pluralisme, et donc l’acceptation des divisions internes est le fait que justement il n’y a de parole unique qui permet d’en rendre compte. »