Hana Machková, deuxième femme tchèque décorée de la Légion d’honneur (2e partie)

Hana Machková, photo: Site officiel de l’Ambassade de France à Prague

Seconde partie de l’entretien avec Hana Machková, amoureuse de la France et rectrice de l’Université d’économie de Prague (VŠE), qui est devenue récemment la deuxième femme tchèque à s’être vu remettre les insignes de Chevalier dans l’Ordre de la Légion d’honneur. La cérémonie s’est tenue à l’ambassade de France, et à l’issue de celle-ci Hana Machková a répondu aux questions de Radio Prague :

Hana Machková,  photo: Site officiel de l’Ambassade de France à Prague
Estimez-vous que les échanges économiques et commerciaux actuels entre la France et la République tchèque soient satisfaisants ? Après la révolution, on a parfois entendu dire que les entreprises françaises avaient raté des occasions en République tchèque et plus généralement dans la région des PECO par rapport à d’autres pays qui ont été moins frileux et n’ont pas hésité à y investir ?

« C’est un peu vrai, mais c’est d’abord culturel. La République tchèque partage ses frontières pour deux tiers avec des pays germanophones. L’Allemagne et l’Autriche sont pour nous des partenaires naturels, comme l’Italie ou l’Espagne le sont davantage pour la France. La France est arrivée un peu plus tard sur le marché tchèque, mais elle y est aujourd’hui le cinquième investisseur. Surtout, la République tchèque présente une balance commerciale positive avec la France. A première vue, ce n’est pas très bien pour la France, mais la réalité est que beaucoup d’entreprises françaises ont délocalisé leur activité en République tchèque. Elles réexportent ensuite leur production en France, où on se charge de la valeur ajoutée : marketing, marques, etc. »

« Mais il y a aussi beaucoup d’entreprises françaises qui réussissent très bien. TPCA est sans doute l’exemple le plus connu, mais on peut citer aussi Faurecia, Saint-Gobain, la fromagerie Bel, toutes les grandes marques de mode ou encore L’Oréal, Yves Rocher… Disons que les entreprises françaises ne sont peut-être pas très visibles, mais c’est aussi de leur faute. Beaucoup d’entre elles ne jouent pas la carte de la francophonie et préfèrent dire qu’elles sont des entreprises globales, que la francophonie est quelque chose de dépassé, etc. Attention, ce sont bien elles, les entreprises françaises, qui affirment cela. Moi, je défends la langue française ! »

Et inversement, que pensez-vous de la présence des entreprises tchèques sur un marché français qui est peut-être un peu difficile à appréhender pour elles ?

« C’est vrai que le marché français est difficile. Mais les entreprises tchèques sont souvent les sous-traitantes des grands groupes français. Or, c’est un peu par leur biais que les entreprises tchèques peuvent réussir aussi sur les autres marchés internationaux. Je pense qu’il y a là une coopération qui est bénéfique pour les deux pays. »

Pourquoi ce marché français est-il si compliqué d’accès pour les entreprises tchèques ?

Photo: Archives de la société Linet
« Ce n’est pas du tout un problème de langue. Le marché français est très exigeant. La France est un pays qui mise sur les innovations. Pour ce qui est des nouvelles technologies, les entreprises françaises sont pratiquement imbattables sur leur territoire. Ce n’est donc pas facile pour une entreprise tchèque de réussir sur le marché français. Mais Linet, par exemple, qui produit des lits d’hôpital, est un bel exemple de réussite : un tiers des hôpitaux français sont ainsi équipés aujourd’hui de lits tchèques, de bonne qualité et bon marché. »

Vous nous avez dit beaucoup aimer la France. C’est bien sûr quelque chose qui fait plaisir à entendre. Mais qu’appréciez-vous plus particulièrement en France ?

« Vous savez, je ne suis pas un cas typique. J’aime tout ! J’adore la culture française et surtout les valeurs françaises. Je pense qu’un pays qui s’occupe beaucoup du social, qui est ouvert et offre beaucoup de coopérations aux autres est un pays qui, pour moi, est très sympathique. Et puis, aujourd’hui, mes meilleurs amis se trouvent en France. Mes enfants ont passé beaucoup de temps en colonie de vacances en France. Ils ont obtenu le diplôme BAFA, ce qui leur a également permis par la suite d’animer des colonies. Nous avons passé pratiquement toutes nos vacances en France. Et comme j’y suis professeure invitée, je m’y rends toujours cinq à six fois par an. C’est donc mon deuxième pays. J’aime la langue, je comprends les gens et les gens me comprennent. Je suis heureuse d’être bien accueillie par les Français et de pouvoir partager avec eux leurs valeurs. »

Et quel regard portez-vous sur l’évolution de cette société française meurtrie par l’actualité notamment l’année dernière ? La République tchèque, elle, est un pays plus hermétique, moins ouvert à l’accueil des étrangers dont on parle si souvent ces derniers temps. Si on vous demande de faire un parallèle, comment voyez-vous les choses ?

Photo: Jan Rosenauer,  ČRo
« C’est l’histoire… La France possède tout simplement une autre histoire que celles des pays d’Europe de l’Est. Ceux-ci sont restés longtemps fermés au monde. Mon fils a vu une personne noire de peau pour la première fois de sa vie lorsqu’il était âgé de huit ans. En France, vous voyez des gens de race différente de la vôtre dès la maternité. Si on prend l’exemple de la crise migratoire, c’est un fait que le regard des Tchèques et celui des Français sont très différents. La France est un pays qui a toujours été ouvert, un pays où des gens de différentes origines cohabitent et vivent bien ensemble. Pour les Tchèques, les opinions émanant des pays d’Europe de l’Ouest sont difficiles à comprendre. »

« Mais il faut aussi que ces pays de l’Ouest sachent que les pays de l’Est n’ont pas choisi leur histoire, qui a fait qu’ils sont restés longtemps fermés au monde. Je pense que les gens vont comprendre progressivement. En attendant, c’est un vrai problème et c’est très difficile. Il y a beaucoup de débats au sein de l’opinion publique tchèque, même s’il est regrettable que les médias fassent leurs unes lorsqu’il y a quarante demandes d’asile. C’est exagéré et c’est dommage pour l’image de la République tchèque. Il faut que les pays membres de l’Union européenne trouvent un compromis. Il n’est pas possible non plus que les pays de l’Ouest ordonnent aux pays de l’Est ce qu’ils doivent faire et leur donnent des leçons. Peut-être ont-ils raison, mais il faudrait quand même qu’ils soient un peu plus diplomates. »