Pérák, le superhéros tchèque

Jiří Trnka - ‘Pérák et les SS’, photo: Krátký film Praha
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C’est la Deuxième Guerre mondiale. Le peuple tchécoslovaque vit sous le joug de l’occupant allemand. Soudainement, un héros apparaît pour aider son pays à lutter contre les forces nazies. Vêtu en noir et portant un masque aux yeux rouges brillants, ce fantôme dont personne ne connaît le visage, possède un pouvoir surnaturel : il se déplace à grands sauts grâce à des ressorts fixés sous ses pieds. C’est en tout cas ce que racontent des légendes à propos de Pérák, un personnage mystérieux, souvent considéré comme le seul superhéros tchèque.

Jiří Trnka - ‘Pérák et les SS’,  photo: Krátký film Praha
Durant la Deuxième Guerre mondiale, des légendes qui apparaissent dans le Protectorat de Bohême-Moravie, sur le territoire de ce qui est plus tard devenu la République tchèque, racontent des histoires d’un homme étrange qui peut sauter très haut et incroyablement loin. Cette faculté est imputée aux ressorts d’un canapé que celui-ci a fixés sous ses chaussures et qui lui permettent de bondir de toit en toit, de sauter par-dessus des enclos, voitures, tramways et maisons, ou même de franchir la rivière Vltava. Associé aujourd’hui aux personnages tels que Batman, Superman ou Spiderman, Pérák, dont le nom pourrait être traduit comme « l’Homme à ressorts », n’est pourtant pas le fruit d’une bande dessinée ou de toute autre œuvre artistique comme c’est le cas des autres héros cités. Au contraire. Pendant la guerre, il est perçu comme une personne réelle, un acrobate ou un inventeur. Pour l’ethnologue Petr Janeček de la Faculté des lettres de l’Université Charles de Prague qui étudie ce personnage mystérieux depuis plusieurs années, Pérák reste cependant avant tout une légende, dont la popularité est due aux temps difficiles de l’époque :

« Il est intéressant de voir que les gens croyaient vraiment à l’existence de ce fantôme. Cette croyance avait un rapport avec l’atmosphère de la Deuxième Guerre mondiale. C’était une période sombre, les gens se conduisaient autrement que d’habitude. La ville obscure qui paraissait différente qu’avant la guerre, est devenue un milieu naturel pour ces histoires de Pérák que les gens se racontaient par exemple dans les abris anti-aériens. L’incertitude de la guerre a fait que le fantôme semblait être plus réel qu’avant ou après la guerre. »

Pérák, le vengeur

Petr Janeček,  photo: archives de Radio Prague
Apparue tout d’abord à Prague, l’histoire de Pérák s’est vite diffusée dans d’autres villes et les témoins de l’époque se souviennent de la présence supposée de ce fantôme presque partout en pays tchèques. Petr Janeček indique que le nom de Pérák était connu également dans sa famille :

« Je m’intéresse à Pérák depuis mon enfance parce que ma grand-mère croyait à son existence et me racontait ces histoires. A l’âge de 18 ans, elle a été forcée de travailler dans une usine de munitions à Polička en Bohême de l’Est. Elle parlait souvent de Pérák avec d’autres filles venant à l’usine de différentes parties de Bohême de l’Est. Elle ne croyait pas qu’il s’agissait d’un superhéros ou d’un fantôme mais elle pensait que ces histoires avaient une base réelle, qu’un Tchèque avait vraiment fabriqué et porté des ressorts. Elle disait : ‘Nous, les Tchèques, nous sommes un peuple assez créatif, nous sommes habiles en bricolage…’ Elle pensait donc que quelqu’un avait fait des ressorts similaires, qu’il avait réussi à sauter et que les gens avaient ensuite amplifié l’histoire. »

Bien qu’après la guerre les gens aient perdu petit à petit foi en son existence, ce personnage n’a pas complétement disparu. Les rumeurs parvenues jusqu’à nos jours le décrivent comme un superhéros qui est devenu célèbre notamment grâce à sa collaboration avec la résistance tchèque. Pérák aurait lutté contre les nazis en tuant des soldats, en sabotant des transports de matériaux et en volant des plans secrets, activités par lesquelles il aurait gêné le gouvernement du Protectorat qui aurait essayé, bien évidemment en vain, de l’arrêter. L’ethnologue Petr Janeček qui se souvient que sa grand-mère, elle aussi, croyait que les soldats allemands avaient peur de ce vengeur mythique, précise que le rôle de Pérák dans la résistance n’est pas du tout prouvé et qu’il lui a été attribué très probablement plus tardivement :

« En 1946, le célèbre réalisateur, animateur et marionnettiste tchèque, Jiří Trnka, le ‘Walt Disney de l’Est’, a tourné un court-métrage burlesque ‘Pérák et les SS’ dans lequel Pérák lutte contre les soldats SS, les nazis et les collaborateurs tchèques. Ce film est devenu très populaire à l’époque où les gens se souvenaient encore de Pérák et il a transformé en quelque sorte ce personnage en un partisan mythique ou en un résistant légendaire. Mais les souvenirs authentiques que nous collectons, moi ou mes collègues avant moi, ont montré que Pérák était un personnage ambigu. Les gens avaient peur de lui, on croyait qu’il attaquait les femmes, notamment des femmes qui rentraient seules des services nocturnes dans les usines de munitions dans lesquelles elles devaient travailler pour le régime nazi. Il était donc perçu avant tout comme un violeur, éventuellement un voleur. Il n’est devenu un héros que grâce à la culture populaire. »

La double vie de Pérák

Photo: Druhé město
Selon Petr Janeček, le personnage de Pérák possède ainsi en quelque sorte une double vie :

« Durant la guerre, les gens ne savaient pas trop de quoi il s’agissait. Comme il apparaissait la nuit et qu’il était doté de facultés spéciales, selon les légendes, bien évidemment, puisqu’il n’a jamais existé réellement, les gens avaient peur de lui. A la fin de la guerre apparaît petit à petit l’idée que Pérák a un lien avec la résistance mais cette interprétation n’est pas dominante. Cette image est due à ce film de Jiří Trnka et puis à une bande-dessinée qui sort dans le journal communiste ‘Haló noviny’ à partir de 1948. Le Parti communiste qui arrive au pouvoir utilise ce personnage pour sa propagande. Soudainement, Pérák ne lutte pas seulement contre les nazis mais aussi contre l’Occident et contre ‘les collaborateurs tchécoslovaques avec l’Occident. Après, il fait objet de nombreux films, bandes-dessinées et d’autres adaptations dans lesquelles il est dépeint comme un superhéros, ce qu’il n’était pas originairement. »

Les différents témoignages parlant de Pérák sont collectés pour la première fois par l’ethnologue Miloš Pulec à la fin des années 1950. La popularité du personnage se confirme dans les années 1960 avec la parution d’une nouvelle de l’écrivain Jan Weiss ; le fantôme est réanimé encore dans les années 1980 par l’un des plus grands écrivains tchèques de science-fiction, Ondřej Neff, qui publie une bande-dessinée avec ce superhéros dans le rôle principal. Selon Petr Janeček, la légende vit néanmoins sa plus grande renaissance depuis 2000, notamment en raison de la popularité croissante de la science-fiction après la parution sur les écrans des films « Le Seigneur des anneaux » et « Harry Potter ». Pérák devient de nouveau l’objet de différentes adaptations culturelles, dont notamment le roman de Petr Stančík et la représentation théâtrale de la compagnie Vosto5 qui situe ce fantôme dans le milieu réel de la résistance tchèque.

Un phénomène tchèque ?

Vosto5 - ‘Pérák’,  photo: archives de Vosto5
Pérák a longtemps été considéré comme un phénomène typiquement tchèque. Cependant, des légendes similaires existaient depuis beaucoup plus longtemps dans différents pays du monde. On peut citer par exemple le personnage américain de « Mad gasser of Mattoon » (L’anesthésiste fou de Mattoon) qui aurait attaqué des femmes et des enfants en utilisant un gaz paralysant. L’histoire de l’homme à ressorts semble être néanmoins plutôt une variante nationale d’une légende qui trouve ses origines dans l’Angleterre victorienne. Entre 1837 et 1877, apparaissent des rumeurs qu’un violeur attaque des femmes dans la banlieue de Londres, de Sheffield et d’autres villes industrielles de la région. Ce dernier était décrit comme un personnage diabolique qui faisait des sauts extraordinaires, d’où son nom Jack Talons-à-Ressort (Spring-Heeled Jack).

Si personne ne sait comment elle est arrivée, cette légende est apparue en Tchécoslovaquie sous une forme transformée pour la première fois bien avant la Deuxième Guerre mondiale. Elle a donné naissance à plusieurs personnages censés avoir agressé dans la nuit des passants innocents, comme par exemple Žiletkář qui portait des gants équipés des lames de rasoir, ou Fosforák, un personnage couvert de phosphore. Petr Janeček souligne néanmoins que ceux-ci n’ont jamais atteint la gloire de leur « frère » Pérák :

« Un tel personnage est assez unique. Il s’agit peut-être du dernier héros existant en République tchèque. Espérons que la situation de la guerre ne se reproduira plus jamais. Pérák a un avantage par rapport à l’anesthésiste fou des Etats-Unis ou aux autres fantômes locaux, qui ont été plus nombreux même chez nous. Il a réussi à pénétrer dans la culture populaire, ce qui lui a assuré l’immortalité. C’est comme cela. Le folklore, les mythes et les légendes, naissent et disparaissent sans cesse. Seulement après avoir été notés ou fixés sous une autre forme artistique, ils survivent. C’est ce qui est heureusement arrivé à Pérák et c’est donc pourquoi nous pouvons maintenant parler de lui. »

L’existence de fantômes similaires est, à cette époque-là, prouvée également dans le folklore d’autres pays européens, dont par exemple la Russie. Toutefois, comme l’indique Petr Janeček, Pérák a une spécificité : il est le seul au monde qui est passé d’une réputation de personnage violent au statut de héros national.