Vingt-cinq ans d’histoire du punk tchèque avec Už jsme doma

Už jsme doma

Un quart de siècle, c’est ce qu’a célébré la semaine dernière, au Divadlo Archa, le groupe Už jsme doma. Už jsme doma, c’est un des groupes emblématiques de la scène punk-rock tchèque né au début des années 1980. A travers l’histoire de ce groupe, raconté par son bassiste et chanteur Miroslav Wanek, c’est donc toute l’histoire du mouvement punk tchèque qui est illustrée.

Už jsme doma
« Nous sommes enfin à la maison » : voilà comment on pourrait traduire le nom du groupe de punk-rock Už jsme doma, une des valeurs sures de la scène tchèque alternative, aussi bien avant 1989 que de nos jours. Le groupe a été fondé par Miroslav Wanek, en 1985, à Teplice, dans le nord de la Bohême. Wanek n’en était pas à son premier essai puisqu’il avait déjà fondé, en 1980, un des tous premiers groupes de punk, aujourd’hui mythique, FPB (Fourth Prize Band). Difficile d’imaginer comment ce style musical hautement subversif, né quelques années auparavant, aux Etats-Unis et surtout en Angleterre, a pu arriver et se diffuser en Tchécoslovaquie communiste. Miroslav Wanek :

« Il n’y avait pratiquement aucune information à ce sujet mais disons qu’à Prague, il était possible de trouver des disques, des Ramones, des Sex Pistols, notamment grâce à la section de jazz. J’avais 18 ou 19 ans, et j’ai commencé à écouter ces musiques un peu par hasard. J’ai dû entendre jouer un disque et ça m’a tout simplement plu. J’ai donc commencé à jouer, avec trois autres garçons et nous avons fondé le groupe FPB, qui était un des tous premiers groupes de punk en Bohême à cette époque. »

Už jsme doma
Ce nouveau style de musique a rapidement rencontré un vrai succès auprès de la jeunesse. Par contre, il était pratiquement impossible de croiser dans les rues de la capitale tchèque un jeune homme au crâne rasé affublé d’une belle crête iroquoise colorée comme cela pouvait être le cas à Londres, Paris ou New-York. Qu’il s’agisse des cheveux longs des hippies, ou des vêtements déchirés et autres accessoires punk comme les chaînes, les Doc Martens ou les épingles de sûreté, le régime communiste tchécoslovaque avait généralement peu de goût pour les excentricités et s’efforçait de contrôler toute nouvelle mode musicale. Miroslav Wanek :

« Le seul fait que quelqu’un joue dans un groupe de rock créait des problèmes. Puis on avait le choix, sur la musique, et sur les textes – surtout les textes. Si on voulait jouer de façon légale, on devait avoir l’autorisation des communistes, des censeurs. Il fallait donc se rendre dans une administration, ou plutôt dans plusieurs administrations pour obtenir un tampon, une autorisation pour jouer. Il y avait beaucoup de censure, mais aussi beaucoup de corruption. Beaucoup de choses pouvaient certainement s’arranger si on s’adonnait à ce type de corruption particulière qui est de donner une bouteille, par exemple.

Concrètement, à Teplice, le censeur était aussi parolier. Et il donnait des autorisations à des groupes qui acceptaient de chanter ses textes. Il y avait donc des groupes qui chantaient du bla-bla, des choses sans sens, sur trois ou quatre de leurs chansons. Mais c’était comme une taxe pour pouvoir chanter trois ou quatre autres chansons à eux. Il y avait beaucoup de choses à la fois drôles et absurdes.»

Drôle et absurde, sarcastique, ce sont des caractéristiques qui sont souvent attribuées au punk-rock tchèque des années 1980. C’était sans doute un moyen de se détourner d’un système particulièrement rigide, et de s’en moquer, à la manière du brave soldat Chveïk. Miroslav Wanek rappelle néanmoins que les groupes qui refusaient de se plier aux règles et qui voulaient seulement jouer leur musique en toute liberté, sans pour autant tenir de discours politique ou manifester d’opposition au régime, pouvaient avoir de sérieux problèmes. Miroslav Wanek :

« C’était un système hypocrite, parce que dans le monde artistique, il était très rare qu’on inculpe une personne pour ses idées politiques. Ils imaginaient et faisaient croire que cette personne avait volé quelque chose. Une fois, ils m’ont arrêté et ils me criaient dessus toute la journée en me demandant où j’avais mis cette télévision. Je répondais que je ne savais pas de quelle télévision ils parlaient. Et ils m’accusaient d’avoir volé une télévision dans une maison du voisinage. Leur but était de me pousser à bout et s’ils avaient voulu, à ce moment-là, ils auraient pu trouver un faux témoin qui aurait affirmé que j’avais effectivement volé cette télévision. J’ai passé un an en prison pour quelque chose de complètement différent. Et soit on allait en prison comme un voleur, soit on devait signer une collaboration et jouer seulement ce qu’ils voulaient. C’était comme un duel. »

Par conséquent, Už jsme doma a très peu joué pendant ses cinq premières années d’existence, puisqu’ils étaient à un rythme de six ou sept concerts par ans, dont quatre ou cinq non officiels. Pourtant, le groupe fête aujourd’hui ses vingt-cinq années de carrière et rassemble un public toujours plus nombreux, où se mélangent les générations avec des cinquantenaires, des trentenaires et même des adolescents. Cette durabilité n’est pas propre à Už jsme doma, car de nombreux autres groupes des années 1980 existent toujours. Voila comment l’explique Miroslav Wanek :

« Au début des années 1980, ça a été un tel boom, entre 1981 et 1987 notamment, où d’un seul coup sont apparus, ils poussaient comme des champignons, vingt, trente groupes, et peut-être même plus. Et certains d’entre eux avaient un tel potentiel qu’ils ont tenu jusqu’à aujourd’hui. C’est comme Magma, ce groupe français, qui a également une quarantaine d’années, mais les gens vont toujours les voir, parce que c’est fascinant, hors du temps. Personne ne peut dire si c’est pour les jeunes ou pour les vieux. C’est pour des gens sensibles. »

C’est donc dans cette mouvance, dans une optique avant-gardiste, ouvert sur les arts, la culture, la littérature, que le punk-rock tchèque s’est développé.

« Au début, on ne parlait pas de punk mais avec associé à d’autres groupes, on parlait de nouvelle vague, sans que cela ne corresponde à ce qu’on appelait la nouvelle vague (new wave) à l’étranger. Ici, cela représentait un certain nombre de groupes du milieu des années 1980 mais qui jouaient des choses très différentes, comme Psí Vojáci, Mňága a Žďorp, Extempore etc. Ces groupes avaient différents genres mais ils avaient ceci en commun : avant tout, l’humour, mais aussi, et notamment pour FPB, l’association de textes de poésie mondiale ou tchèque. Ce n’était pas commun pour le punk ; on parle même parfois de punk intellectuel. Et à partir de ça, on a évolué pour faire notre propre style, qui n’est même plus du punk, et aujourd’hui, personne ne sait où classer Už jsme doma. »

L’originalité de la musique du groupe leur a permis de se faire connaître à l’étranger. A partir de 1989, Už jsme doma a commencé à tourner dans le monde entier, et notamment en France. Miroslav Wanek :

« Nous avons été au moins une cinquantaine de fois en France. C’est une de nos destinations les plus fréquente avec les Etats-Unis, la Pologne et peut-être le Japon. Et je dois dire, pas seulement comme un compliment, que c’est la destination que nous trouvons la plus agréable. Je l’avais déjà senti il y a longtemps, avant même de m’y rendre, mais quand j’y suis allé pour la première fois, cela m’a vraiment confirmé que réellement, si on peut parler de cultures nationales similaires et parentes, c’est la République tchèque et la France. Ce n’est pas quelque chose de nouveau. Déjà dans les années 1930, les surréalistes et les dadaïstes, les poètes, les peintres etc. construisaient ce pont entre Paris et Prague qui fonctionne toujours. Et je suis content que nous poursuivions cette tradition avant-gardiste. »

Photo: Indies Records
Pour terminer, il est important de mentionner la présence dans le groupe de l’artiste Martin Velíšek, considéré comme membre du groupe à part entière. Martin Velíšek, connu par exemple pour sa participation au film d’animation Fimfarum ou encore pour la décoration d’une des tavernes les plus réputées du quartier de Žižkov à Prague, est ainsi l’auteur de toutes les pochettes des disques et de toutes les affiches du groupe, et il donne à Už jsme doma, en plus de sa spécificité musicale, une signature graphique inimitable.