Le Sokol de Paris, plus de 120 ans d’histoire

Sokol de Paris, photo: e-sbirky / Národní muzeum, CC BY

En 1862, Miroslav Tyrš et Jaroslav Fügner fondent le Sokol, un mouvement gymnastique patriotique qui s’inscrit dans le mouvement général de la renaissance nationale tchèque. Acteur politique majeur, le Sokol participe grandement à la fondation de l’Etat tchécoslovaque dont on fête le centenaire cette année. De même, il essaime un peu partout dans le monde, en Espagne, en Amérique du Nord, mais aussi en France où le tout premier Sokol à l’étranger voir le jour en 1892. Rencontre aujourd’hui avec trois membres du Sokol de Paris, dans le cadre de notre émission spéciale, alors que s'achève ce vendredi le XVIe "slet", ou grand rassemblement des Sokols, à Prague.

Sokol de Paris,  photo: e-sbirky / Národní muzeum,  CC BY

Bonjour, le Sokol de Paris a été distingué début juin par le prix Gratias Agit, remis par le ministère tchèque des Affaires étrangères aux personnalités ou institutions qui ont contribué à la bonne renommée de la République tchèque à l’étranger. Radio Prague accueille Jiří Bystrický, ancien président du Sokol de Paris, Marie Roy qui est responsable des affaires culturelles, et Jiřina Bystrická, ancienne monitrice-en-chef dans le cadre du Sokol. Avant de parler des activités du Sokol aujourd’hui, rappelez-nous en quelques mots ce que signifie le mot « sokol » et comment sont nés les Sokols en Tchécoslovaquie.

Jiří Bystrický,  photo: Ondřej Tomšů
J. B. : « Littéralement, ‘sokol’ veut dire le faucon. C’est le symbole d’un homme courageux, fort, pourvu de nombreuses qualités. Ce nom a été choisi comme nom pour l’organisation fondée en pays tchèques en 1862. »

A l’origine, le Sokol était une organisation de gymnastique…

J. B. : « Surtout de gymnastique, même s’il y avait d’autres sports, comme l’escrime, l’équitation etc. En France, le Sokol est fondé à Paris en 1892 sur l’incitation du président de la Fédération de gymnastique française, Jean Sansboeuf, qui est venu assister au deuxième ‘slet’ des Sokols à Prague. Il a beaucoup aimé et a incité les Tchèques à organiser une section gymnastique d’une organisation déjà existante. Un an plus tard, l’association a été renommée Sokol de Paris. »

Il faut préciser pour les personnes qui ne le sauraient pas que le ‘slet’ c’est un grand rassemblement gymnastique.

Sokol de Paris,  photo: e-sbirky / Národní muzeum,  CC BY
J. B. : « Oui, c’est le rassemblement des ‘sokols’, des faucons, qui ‘s’envolent’ ensemble. Aujourd’hui, le Sokol de Prague organise un ‘slet’ tous les six ans. »

Quand le Sokol est né en Tchécoslovaquie à la fin du XIXe siècle, il y avait un aspect sportif du Sokol, mais également une dimension nationaliste, ou plutôt patriotique…

J. B. : « Oui, et ce nationalisme, on le voit au début de la Première Guerre mondiale quand le Sokol de Paris doivent se porter volontaires dans l’armée française. Comme tous ces hommes étaient autrichiens officiellement, puisque la Tchécoslovaquie n’existait pas encore, ils n’ont pas pu rejoindre l’armée française mais ont été admis dans la légion étrangère. Ils ont formé une compagnie et comme beaucoup d’entre eux venaient du Sokol, où l’on se saluait traditionnellement d’un ‘nazdar’, la compagnie a été baptisée Nazdar. »

La compagnie Nazdar a été intégrée à ces armées qui combattaient la Triple Alliance à l’époque. Précisons également que les Sokols ont apporté un soutien majeur à Tomáš Garrigue Masaryk dans la fondation de la Tchécoslovaquie…

La compagnie Nazdar | Photo: VHÚ
M. R : « Effectivement, c’est la force populaire, de la part peuple qui parlait tchèque, qui s’est développée à travers les artistes avant-gardistes avec des musiciens comme Bedřich Smetana ou Antonín Dvořák ou des écrivains satiriques comme Karel Havlíček Borovsky ou Božena Němcová. Une sensibilité vis-à-vis de la langue tchèque est arrivée petit à petit à travers ces idées, qui se sont cristallisées à Prague dans certains mouvements. Dans les pays de langue allemande, il se passait la même chose : c’était quelque chose de très moderne. Dans le Sokol, au début, il n’y avait que des hommes, puis plus tard il y a aussi eu des femmes, qui venaient de tous les milieux sociaux. Il y avait des ingénieurs, des architectes et des ouvriers qui se tutoyaient, qui s’appelaient ‘bratr’ ou ‘sestra’ c’est-à-dire ‘frères’ et ‘sœurs’. C’était du jamais-vu, quelque chose de très progressiste. Effectivement Tomáš Garrigue Masaryk a lui-même puisé sa force et un certain soutien dans le Sokol. »

C’est aussi la même chose pendant la Seconde Guerre Mondiale, les Sokols de Paris et d’ailleurs se sont engagés de manière cachée dans la Résistance…

J. B : « Pendant la Seconde Guerre Mondiale, c’était beaucoup moins marqué. Lors de la Première Guerre Mondiale, 70 personnes du Sokol sont tombées sur le champ de bataille alors que pendant la Seconde Guerre Mondiale, il y en a eu 16. C’est dû au caractère de la guerre, la France était occupée donc c’était différent. »

1948 est une rupture majeure puisque c’est l’année du Coup de Prague. Les communistes interdisent le Sokol puisque c’est le symbole de la Première République tchécoslovaque, mais à Paris le Sokol continue d’exister. Comment se déroule cette période pour le Sokol de Paris alors qu’il n’a plus de lien direct avec des personnalités « sokols » en Tchécoslovaquie, puisqu’elles qui n’ont pas les moyens de faire vivre cette association ?

Jiřina Bystrická,  photo: Miloš Turek
Jiřina B. : « Il y n’avait pas seulement le Sokol à Paris mais aussi dans d’autres pays : à Munich en Allemagne par exemple ou aux Etats-Unis… Tous ces ‘sokols’ à l’étranger se sont mis d’accord ensemble sur l’idée d’un centre d’où on pourrait préparer une activité. Ils ont aussi décidé de faire des ‘slets’ à l’étranger. Le premier qui a eu lieu n’était pas officiel, il s’est déroulé à Paris et seuls les Sokol européens y ont pris part. Il y a eu ensuite trois ‘slets’ à Vienne, en 1962, 1972 et 1982, deux à Zürich en 1976 et 1986 et un à Montréal en 1967. A Paris, il y a eu en 1990 un dernier ‘slet’ formidable puisqu’il y avait 500 ‘sokols’ qui sont venus de Tchécoslovaquie. Ils se sont préparés clandestinement avant novembre 1989 pour pouvoir y participer, puis ouvertement. Ils ont participé avec nous, il y avait plusieurs mouvements d’ensemble et on en a de merveilleux souvenirs. »

Ce « slet », ce rassemblement qui a eu lieu à Paris en 1990 s’est tenu quelques mois après la chute du Mur de Berlin. Qu’est-ce que la chute du communisme a changé pour le Sokol de Paris en particulier, et pour les autres ‘sokols’ étrangers ?

Jiřina B. : « D’abord nous avons ressenti beaucoup de joie, nous étions heureux de pouvoir les accueillir. Puis petit à petit, les Tchèques qui étaient au Sokol à Paris ont commencé à venir de moins en moins souvent faire de la gymnastique parce qu’ils pouvaient partir pour Prague, pour Brno… On avait toujours un lien très fort avec ceux qui ne pouvaient pas bouger, qui ne pouvaient pas retourner en Tchécoslovaquie puisqu’ils revenaient très régulièrement au Sokol, on était toujours ensemble. Quand cette possibilité est venue, que nous avons pu voyager, ils n’ont plus pris autant de temps pour le Sokol. »

Slet en 2012,  photo: Chmee2,  CC BY-SA 3.0
Ce que vous dites c’est qu’avant 1989, le Sokol de Paris a servi de creuset pour tous les émigrés tchèques, qu’ils soient « sokols » ou pas. Il les a rassemblés. Après 1989, le Sokol avait toujours une utilité mais il avait perdu cette dimension de rassemblement. Où en est le Sokol de Paris aujourd’hui et quelles activités propose-t-il à ses membres ?

J. B : « Il n’y a plus de gymnastique au Sokol mais nous avons toujours le volley-ball, qui est apprécié par les étudiants tchèques qui viennent à Paris. Nous enseignons aussi le yoga. Il y a toujours les danses folkloriques : c’est une tradition au Sokol de Paris. Le groupe folklorique fait chaque année une prestation au bal que le Sokol de Paris organise. Nous avons aussi le pré du Sokol à Gournay-sur-Marne où on se réunit plusieurs fois par an, où viennent non seulement les ‘sokols’ mais aussi d’autres Tchèques de Paris. »

Jiřina B. : « Sur ce pré du Sokol il y a un petit monument aux morts pour ceux qui sont tombés pendant les deux guerres mondiales. La première fête au printemps est un peu solennelle : nous allons avec un drapeau et quelqu’un de l’ambassade, souvent l’ambassadeur lui-même, déposer une gerbe de fleurs et chanter l’hymne. On va aussi au cimetière d’Arras une fois par an, et le 28 octobre, jour de la fête nationale tchèque, le Sokol participe toujours à la cérémonie sous l’Arc de Triomphe. Le 1er novembre, le Sokol se rend aussi au monument aux morts tchèque du cimetière du Père-Lachaise. »