Littérature : « Golems », ou le secret du Golem récupéré par des occultistes nazis

Photo: Phébus

Publié en 2004 par les éditions Phébus, « Golems » est un roman qui raconte les conséquences que peut avoir la transmission d’un secret comme celui du Golem de Prague. Surtout si ce secret, détenu depuis des siècles par un seul membre de la communauté juive, est transmis à la fin des années 1930 et récupéré par des érudits dévoués au service du nazisme. Alain Delbe est l’auteur de ce récit qui fait revivre, de façon originale, une des grandes légendes de Prague :

Photo: Phébus
« Le but de ce roman était déjà de reprendre la légende du Golem, qui est une tradition juive de la Kabbale. Et bien évidemment, le plus célèbre est le Golem de Prague, qui aurait été créé par le Maharal, le rabbin Loew. Mais le Golem est une tradition selon laquelle de grands personnages, des saints de la Kabbale, prouvent leur niveau de spiritualité en étant capables, à l’image de Dieu, de créer la vie et un être humain. »

« Une des idées de ce livre a donc été de reprendre cette figure du Golem, car je me suis aperçu que cela a beau être une figure mythique, elle a relativement peu de place dans la véritable littérature. Il y a donc cet aspect de la légende. Le roman le plus célèbre qui s’en est inspiré est ‘Le Golem’ de Gustav Meyrink. Mais le Golem est une créature assez évanescente, qui apparaît très peu. C’est plus son ombre qui traverse l’histoire des personnages. Sinon il y a des grands auteurs comme Isaac Bashevis Singer qui ont eux aussi écrit des choses sur le Golem, mais ce sont des œuvres qui pour la plupart reprennent assez précisément la légende du Golem de Prague. C’est pourquoi j’ai donc voulu faire quelque chose qui reprendrait l’histoire en renouvelant celle-ci et en la plaçant dans la Prague de la fin des années 1930… »

Oui, car cette légende du Golem que l’on a un peu de mal à situer dans l’Histoire, vous, vous le faites vivre concrètement. C’est un Golem que l’on « voit » presque dans la lecture et que vous placez à une époque très précise : à Prague en 1937…

« Oui, car l’idée est de dire que le Golem n’est pas seulement une légende. Je pars du principe que le don de Dieu que possédait par tradition la communauté juive de Prague est toujours quelque chose d’actuel et, à partir de là, j’imagine que les nazis, puisqu’il y a eu tout un courant occultiste derrière le nazisme, ont eu comme projet d’arracher aux Juifs le secret de la fabrication du Golem. »

Aussi parce que les nazis prétendaient que c’était là une tradition qui avait appartenu à leurs ancêtres…

Alain Delbe,  photo: Archives d'Alain Delbe
« Cela a été pour moi une des surprises de l’écriture du roman. En me documentant sur le sujet, je me suis aperçu qu’il y avait bien eu tout un courant parmi des occultistes qui étaient très proches du pouvoir nazi, en particulier un certain Karl Maria Wiligut que l’on surnommait ‘Le Raspoutine de Himmler’, qui avaient développé la théorie selon laquelle les secrets magiques de la Kabbale étaient à l’origine les secrets des druides, des érudits, des prêtres aryens, germains, païens, et que devant la christianisation qui effaçait très violemment tout ce qui était lié au paganisme, ces druides ont confié leur secret à des gens de la communauté juive qui, eux aussi, étaient persécutés par le christianisme à l’époque, mais qui leur paraissaient plus en mesure de s’organiser pour survivre. Et l’histoire l’a confirmé, puisque cette tradition a perduré… Mais il y a donc cette idée que les secrets magiques de la Kabbale étaient à l’origine ceux des prêtres et des druides de la tradition germanique païenne. Je fais donc un pas de plus et j’imagine que les nazis vont réussir à arracher le secret de la fabrication du Golem aux Juifs de Prague dans le but évident de s’en servir pour leurs besoins, comme soldats ou ouvriers. Et dans le fantasme de leur idéologie, cela leur permettait de ne plus s’encombrer des races inférieures. C’était la finalité. »

L’objectif des nazis est donc de se réapproprier le secret du Golem, d’où le titre du livre au pluriel, car cela nous donne plusieurs golems : celui de Prague et le golem des nazis…

« Effectivement, il y en aura plusieurs. Il n’y a plus seulement ce Golem auquel on redonne vie une fois de temps en temps lorsqu’il y a un nouveau possesseur du secret, mais une espèce de reproduction en masse de golems. »

La première partie de votre livre ne s’arrête cependant pas à ce fait. L’histoire, dans la Prague de l’avant-guerre, rassemble différents personnages : un espion allemand qui se lie d’amitié avec une étudiante française qui, elle, tombe amoureuse d’un jeune Juif auquel le grand rabbin transmet LE secret… Comment vous est venue cette histoire ?

Château de Wewelsburg,  photo: Ziko,  CC BY 3.0 Unported
« J’ai d’abord effectué tout un travail de documentation autour de cette figure du Golem. Il y a toute une érudition, une tradition qui en parle. J’ai mené des recherches aussi sur les bases occultistes du nazisme, qui étaient des choses assez énormes. Il ne s’agissait pas là de fantasmes dans la tête de quelques-uns. D’ailleurs, on peut toujours visiter aujourd’hui le château de Wewelsburg, en Westphalie, qui sert de décor à plusieurs scènes du roman et qui était conçu pour être un immense centre d’initiation de la SS. C’était quelque chose de vraiment rituel et qui tenait très à cœur à Himmler. Celui-ci était celui qui tenait le plus à réinstaurer tous ces rites païens et toute cette grandeur de l’ancienne Germanie qui avait été étouffée par la civilisation chrétienne. Aujourd’hui, quand on visite ce château, on voit des maquettes du projet… C’était… Quelque chose en arc-de-cercle sur des kilomètres dont le château devait être le centre (le château, centre idéologique de la SS, devait être ‘le Centre du Monde nouveau’ après la victoire finale, ndlr). Cela devait être une sorte de Vatican nazi, c’est le mot qui est employé, bref le centre d’une nouvelle religion… »

Otto Rahn,  photo: CC BY-SA 3.0 Unported
« Pour en revenir à la question, c’est ainsi que le roman s’est construit, encore une fois avec cet étonnement de voir que si on part d’une idée inventée par soi-même, la réalité prouve, dépasse et entraîne même la construction du roman. Ce personnage de l’espion allemand a existé. C’est un homme assez mystérieux, qui s’appelle Otto Rahn. Il a écrit deux livres qui ont participé en particulier au regain d’intérêt pour le catharisme par exemple, avec ‘Croisade contre le Graal’. C’était donc un des écrivains préférés du régime nazi, qui a appartenu à la SS avant de disparaître de façon très mystérieuse. Dans mon livre, c’est donc lui qui est censé infiltrer le milieu juif à Prague pour retrouver les traces du secret du Golem, ce à quoi il va d’ailleurs parvenir. »

« A Prague, c’est l’homme qui force les portes du divin »

Dans les recherches que vous évoquez, qu’avez-vous découvert sur Prague ?

Photo: Štěpánka Budková
« D’abord la magie de la ville, même si c’est un cliché que d’affirmer cela. Mais je crois que le personnage principal de la première partie du livre est la ville de Prague elle-même. C’est quand même une ville assez particulière, comme je le fait dire aux personnages. C’est une ville magique et mystérieuse, certes, mais de façon originale. Ce n’est pas comme les grandes villes saintes comme Jérusalem ou Bénarès, où on voit que c’est le divin qui appelle l’homme. Dans Prague, il y a quelque chose de plus prométhéen. Les légendes, ce sont des magiciens, des médiums, des alchimistes… le Golem bien entendu… C’est plus l’homme qui force les portes du divin. C’est là quelque chose de vraiment propre à Prague, jusqu’à Karel Čapek qui a inventé le thème du robot. Quand on voit la façon dont tous les écrivains parlent de Prague, que ce soit Meyrink ou Kafka… »

…Deux écrivains que vous évoquez beaucoup à travers le personnage de Camille, l’étudiante française présente à Prague pour approfondi ses recherches sur Meyrink et Kafka…

« Voilà, c’est ce qui justifie la présence de cette jeune Française à Prague, qui fait une thèse littéraire dont le sujet est l’emprise, la place de Prague chez ces deux écrivains majeurs. Et la question qui se pose est : qu’est-ce qu’une ville comme Prague fait écrire ? C’est une manière un peu pour moi de situer mon propre roman et de répondre à votre question. Cette jeune Française va faire aussi la transition avec la seconde partie du roman qui nous replace dans des jours plus contemporains et au début du XXIe siècle. »

L’écriture de votre roman s’appuie sur trois voyages que vous avez effectués à Prague, dont le premier dans les années 1970. Comment avez-vous vu évoluer la ville ? Cette Prague magique et mystérieuse existe-t-elle encore selon vous ou alors n’est-elle plus qu’un musée à ciel ouvert et une légende comme celle du Golem n’est-elle plus finalement qu’un objet commercial, du marketing destiné aux touristes ?

Photo: CzechTourism
« Ma réponse va peut-être vous décevoir, mais je n’ai pas voulu voir l’évolution de cette ville. Bien sûr elle a bien changé depuis mon premier séjour. On voit bien la liberté, le foisonnement culturel et aussi tout cet aspect commercial et touristique. Mais si Prague m’a convaincu de quelque chose, même lors de mon dernier voyage plus récent, c’est jusqu’à quel point Prague fait justement perdurer ses légendes et cette atmosphère mystique. Peut-être faut-il les chercher un peu plus, mais on les trouve toujours. Cela peut être un coin dans le brouillard, une ruelle éclairée par quelques lampadaires, un endroit près de la Vltava, une ombre, un personnage un peu curieux… Et puis mon dernier séjour a été doublé de tout ce que j’avais pu construire précédemment de mes personnages, de tout ce que j’avais imaginé dans mon roman. Je voyais un café, un bâtiment, un parc, et tout cela se doublait de cette imagination. Donc oui, dans ce sens, Prague est toujours magique. »

« Le livre comporte le secret de la fabrication du Golem »

Vous y croyez, vous, à cette légende du Golem ?

Photo: Alexander Voronzow / United States Holocaust Memorial Museum
« Bien sûr ! Il y pas mal de choses autobiographiques dans ce livre, car le plaisir d’un tel roman est aussi d’y infiltrer des choses personnelles. Cette dimension constitue d’ailleurs le premier chapitre du roman qui se déroule dans les années 1960, qui sont censées être celles de l’enfance du narrateur. En vacances à la station balnéaire de Berck-Plage avec ma mère et mon frère, j’ai reçu un livre sur les camps de concentration de la part de la logeuse de la location. Celle-ci avait cru comprendre que je m’intéressais à l’histoire… Pour mieux comprendre, il faut se remettre dans le contexte de l’époque. Aujourd’hui, ces images des camps sont tout à fait banalisées, mais dans les années 1960, avec encore le secret de la ‘chose’, les documents qui étaient peu accessibles, sans internet ni même la télé, cela a vraiment été un choc pour moi de découvrir toutes ces horreurs. Et ce qu’il y avait de particulier, c’est que ce livre avait une odeur épouvantable. Or, dans mon esprit d’enfant, il m’apparaissait certain qu’il y avait là quelque chose de mystérieux et qu’il ne s’agissait pas seulement d’une odeur de vieux papier qui aurait traîné je ne sais où. Non, il y avait quelque chose qui m’interpellait, comme si cette odeur même du livre était quelque chose qui dépassait le texte et les photos. Elle était là pour me faire sentir l’épouvantable de ces camps. Il y avait donc cet espèce d’au-delà de la réalité qui m’avait saisi à l’époque et que j’ai voulu reprendre dans mon roman. »

« A partir de ce livre, le personnage va faire des cauchemars qui vont le lancer dans l’aventure et dans la redécouverte de toute cette partie de l’histoire qui se passe à Prague. Il y est lié par le fait que cette jeune Française venue poursuivre ses études à Prague en 1937 se trouve, bien des années plus tard, faire partie de sa famille. Et le personnage en question va donc avoir quelque chose à faire pour achever cette partie de l’histoire. »

Et la photo du prisonnier d’un camp qui traumatise l’enfant au tout début du livre et lui fait faire des cauchemars constitue le point de départ également de la seconde partie de votre livre. Une trentaine d’années plus tard, les images lui reviennent et on retrouve alors également cette étudiante française à Prague en 1937 qui est désormais une vieille dame… Alors, on ne va pas tout dévoiler aux lecteurs potentiels, mais que dire de cette seconde partie qui se situe, elle, aujourd’hui ?

« Ce personnage, qui est un psychologue et somme toute quelqu’un d’assez insignifiant, a des cauchemars récurrents et on va alors découvrir que c’est justement parce que, au même moment, quelqu’un a retrouvé ces golems qu’avait réussi à faire cet illuminé nazi qu’était Karl Maria Wiligut et que quelque chose est en train de reprendre, puisqu’il y a des assassinats dans lesquels on peut déceler des reprises de l’idéologie nazie. Il faut donc arrêter cela. Et une des clefs ou hypothèses du roman est de penser que quelque chose de l’esprit du Juif qui possédait le secret du Golem est toujours présent et prend possession de l’esprit du psychologue. Et c’est ce qui va le lancer dans l’aventure pour essayer d’arrêter ces choses abominables qui sont en train de se reproduire. »

Rabbi Yehuda Loew et le Golem
« Pas même ici ce n’est une totale invention de ma part. Dans la Kabbale aussi, ce sont des choses qui existent : un grand personnage spirituel peut tout à fait influer sur l’esprit d’un descendant ou d’un successeur, comme on peut le voir également dans des traditions comme le bouddhisme tibétain, où ce sont des choses classiques. C’est ainsi que tout se lie pour rebondir aujourd’hui avec cette vieille dame qui était l’ancienne amante du jeune Juif qui détenait le secret du Golem et lui avait transmis… »

Peut-on en dire encore un peu plus sur cette seconde partie ou faut-il que nous nous arrêtions là pour mettre l’eau à la bouche du lecteur ?

« On peut quand même dire qu’elle comporte le secret de la fabrication du Golem. Ce n’est quand même pas rien… Si quelqu’un lit attentivement le livre, il réussira peut-être, comme moi, à construire son propre Golem. En somme, je crois que c’est un livre qui prend sa place dans ce que peut être la vie d’un mythe. »