Radio Prague fête ses 75 ans

Pavla Jazairiová
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Ce mercredi 31 août, les émissions internationales de la Radio tchèque célèbrent leur 75e anniversaire. La rédaction française diffuse à cette occasion une émission spéciale, dans laquelle vous entendrez notamment les journalistes Pavla Jazairiová et Fabrice Martin-Plichta, tous deux anciens collaborateurs de Radio Prague.

Pavla Jazairiová : « Mon passage à la radio a tout changé pour moi »

Pavla Jazairiová
Pavla Jazairiová, vous êtes journaliste radio, écrivain, globe-trotter. Vous avez à votre actif des dizaines de livres concernant vos voyages en Afrique, en Inde, et ailleurs dans le monde. Vous êtes notre invitée aujourd’hui, notamment pour convoquer vos souvenirs concernant Radio Prague, dont nous fêtons les 75 ans cette année. Comment êtes-vous arrivée dans la rédaction française vers l’Afrique de Radio Prague ?

« J’étais bilingue. J’allais dans une école du soir prendre des cours parce que je n’étais pas très capable de faire des études en Tchécoslovaquie. Mes parents ne m’ont en effet jamais laissée terminer une seule année scolaire dans un pays. Donc je parlais français, mais c’est à peu près tout ce que je savais faire ! J’allais à l’école du soir, et une de mes collègues là-bas m’a dit que la radio tchèque cherchait une secrétaire française. J’y suis allée en vitesse. Il y avait une dame qui était la directrice des émissions en langue française. Il y avait alors des émissions en français pour la France et pour l’Afrique. Cette dame s’appelait madame Balazova, elle avait très mauvaise réputation sous le régime communiste. Elle m’a fait faire un essai au micro et a trouvé que ce n’était guère satisfaisant. Mon adresse est quand même restée à la radio. Le directeur des émissions en français pour l’Afrique m’a téléphoné pour savoir si je pouvais faire un remplacement. J’étais arrivée à la radio comme secrétaire, mais j’étais une abominable secrétaire, je ne savais rien faire… »

Le secrétariat n’était pas votre vocation…

Pavla Jazairiová,  photo: abart-full.artarchiv.cz
« Je ne savais rien faire ! Je ne savais pas taper à la machine, je n’étais pas très soigneuse… Mais on m’a envoyée avec un magnétophone en reportage. A l’époque, ce n’était pas ces petits appareils que vous pouvez mettre dans une poche, c’était des valises ! Je devais faire un reportage sur le défilé du 1er mai. Apparemment j’ai réussi parce que j’ai même eu un petit prix. On m’a dit : tu es une très mauvaise secrétaire, mais tu pourrais travailler comme rédactrice. Alors je me suis lancée ! »

La radio, ça vous a tout de suite plu ?

« Ca m’a plu. C’était très amusant de parler avec des Africains, je ne savais rien de l’Afrique. Il y avait un Africain qui travaillait dans la rédaction, il s’appelait Manou, il venait du Sénégal. C’était un gars qui disait : je suis invincible ! Maintenant, il est mort, mais à l’époque il pensait qu’il était invincible. Il disait qu’il avait une poudre dans le corps et que personne ne pouvait lui faire du mal. Or, il a été attaqué par une bande de voyous qui lui ont sérieusement cassé la gueule, il a même fini à l’hôpital. Il a dit : cela ne veut rien dire, parce que je suis invincible au Sénégal ! Voilà quelques petites histoires. Je ne savais rien de nos auditeurs au début, mais nous avions beaucoup d’auditeurs en Afrique ! »

Est-ce que vous aviez une idée de combien il y avait d’auditeurs ?

« Je ne peux pas vous donner un chiffre, mais les gens nous écrivaient, il y avait des concours, des gagnants. Ensuite les gens venaient en Tchécoslovaquie : je me souviens d’un Guinéen, et d’une Algérienne qui n’avait pas pu venir. Moi par contre je suis allée en Algérie, pour rencontrer des gens, pour voyager, pour voir à qui je parlais. J’ai fait beaucoup de reportages à l’époque. »

Cela veut dire qu’à l’époque, la radio envoyait ses journalistes en Afrique ?

« Pas vraiment non (rires) ! J’ai fait cela par moi-même… »

En quelle année êtes-vous arrivée à Radio Prague ?

« Je suis née en 1945, j’avais 20 ans quand j’ai commencé. Donc vers 1965. J’y suis restée quelques temps, et puis en 1968 les choses se sont gâtées. La normalisation a commencé et on nous demandait à tous de faire du travail politique. »

Avant 1968, dans le laps de temps où vous avez travaillé, sur quoi écriviez-vous ? Est-ce que vous aviez quand même une marge de liberté ?

« Plus ou moins. ‘Rencontre des jeunes’, voilà un thème par exemple. Imaginez un petit peu le topo : de jeunes Tchèques et de jeunes Africains se rencontrent, que font les Africains ? Que font les Tchèques ? A quoi les jeunes Africains s’intéressent-ils ? Quelle musique écoutent-ils ? »

Pavla Jazairiová,  photo: abart-full.artarchiv.cz
Vous rencontriez donc des Africains qui vivaient en Tchécoslovaquie ?

« Aussi… Il y avait des étudiants étrangers avec lesquels nous faisions des interviews. C’était une époque très bizarre... Souvent c’était des gens qui avaient été envoyé par le régime dans leur pays d’origine, ou des gens qui avaient de l’argent. Ce n’était pas toujours des personnes très talentueuses, qui avaient beaucoup de mérite, vous voyez ? Il y avait des deux. C’était un mélange surprenant. »

Vous qui avez connu la radio dans les années 1960, quelle était l’ambiance ?

« Il y avait une censure, tout ce que vous écriviez passait par cette censure. Disons que la censure concernait surtout les gens qui parlaient tchèque. Ceux qui parlaient français pour les Africains, ça n’intéressait en gros personne. Je me souviens que ce Manou, il disait : ‘en République socialiste tchécoslovaque, les pauvres, les miséreux ainsi que les riches, dans leurs misérables chaumières et dans leurs somptueuses maisons, célèbrent tous l’arrivée du petit Jésus’. Alors que d’une part, Noël n’était pas vraiment célébré, en tout cas c’était fait à la russe, et puis dire qu’il y avait ici des pauvres dans des chaumières, et d’autres dans de somptueuses maisons, c’était très exagéré ! »

Combien de rédactions étrangères y avait-il à cette époque ?

« Il y en avait beaucoup. On diffusait en anglais, en allemand, en espagnol, en arabe. Je ne sais même pas si on ne diffusait pas en swahili ! »

Il me semble qu’il y avait bel et bien du swahili…

« Et puis on diffusait en tchèque pour les Tchèques à l’étranger. »

Et tout cela était à l’époque sur ondes courtes… C’était l’époque des ondes courtes, qui ont pris fin cette année fin janvier 2011. Quel était le format des émissions à l’époque ?

« C’était des émissions très longues, moi-même j’avais une émission d’une heure. Il y avait de petits reportages, des rubriques. Mais ça dépendait un peu de moi, de ce que je choisissais pour le programme. »

C’était très créatif pour vous ?

Pavla Jazairiová,  photo: abart-full.artarchiv.cz
« C’était très créatif, oui. Sinon je faisais aussi des traductions. Et puis il y avait le journal et des émissions musicales. »

Vous disiez avoir rencontré des gens qui écoutaient Radio Prague ?

« Mais oui, un jour j’étais en Afrique où j’ai beaucoup voyagé par la suite. Nous avons pris le train au Togo. Les gens se parlent dans le train, vous savez. J’ai discuté avec un homme et je lui ai dit que j’étais de Radio Prague. Et lui me répond : ‘ça fait deux ans que je vous attends ! Vous êtes mon invitée!’ Comme s’il m’avait attendu là, sur place ! C’était des choses comme cela qui arrivaient… C’était incroyable. Et naturellement pour les Africains, la radio était très importante donc nous avions vraiment beaucoup d’auditeurs. »

Qu’est-ce que votre passage à la radio a signifié pour votre carrière, pour votre vie ?

Pavla Jazairiová,  photo: abart-full.artarchiv.cz
« Cela a tout représenté pour moi. J’ai en effet commencé à faire un travail créatif. J’ai commencé à écrire, j’ai voyagé. Cela m’a d’ailleurs coûté cher ces voyages car c’est à cause de ceux-ci qu’on m’a fait partir de la radio. J’étais d’ailleurs très contente de partir, en 1971, car si j’étais restée à la radio, je n’aurais jamais eu la force de partir toute seule. L’invasion de 1968 a été suivie par une normalisation rampante. Les choses ne sont pas allées mal d’un seul coup, mais chaque jour, chaque mois, ça s’aggravait. On nous demandait de faire du travail politique, de dire certaines choses, des mensonges en fait. On nous demandait de faire des choses avec lesquelles nous n’étions pas d’accord. Moi, je voyageais à ce moment-là. Il y avait un directeur à cette époque là, c’était un homme très désagréable, il devait sans doute avoir comme tâche de vider la radio des personnes d’avant et de recruter des gens qui feraient ce qu’on leur dirait. Et moi-même je ne suis jamais rentrée dans l’organisation des jeunesses communistes. On m’a dit de rentrer dans celle des femmes, et je n’ai pas voulu. En plus de cela je voyageais, je faisais comme cela me chantait, donc je n’étais pas une bonne personne pour la radio ! »