Réveillon de Noël : bienvenue chez les Tchèques

Foto: Archivo de ČRo 7 - Radio Praga

Bienvenue à l’écoute de cette émission spéciale consacrée bien entendu aux fêtes de Noël. Pour les Tchèques, ces fêtes de Noël commencent le 24 décembre bien avant minuit et la naissance de l’enfant Jésus.

Photo: Štěpánka Budková,  Radio Prague Int.
C’est d’ailleurs ce petit Jésus – Ježíšek, qui apporte, le 24 au soir, les cadeaux aux enfants tchèques, et non pas le Père Noël comme dans de nombreux autres pays dans le monde et comme nous l’entendrons dans la deuxième partie de cette émission.

En tchèque, cette veille de Noël s’appelle « Štědrý den », soit, traduit littéralement, « la journée généreuse », probablement du fait de la distribution des cadeaux. Mais cette distribution de cadeaux est précédée d’une multitude d’autres traditions, comme nous allons le découvrir tout d’abord avec le témoignage d’une famille franco-tchèque.

Professeur de français aujourd'hui à la retraite, Jean-Pierre Vaddé était en mission dans la Tchécoslovaquie normalisée du milieu des années 1970. C'est à l'université d'Olomouc, en Moravie, qu'il a rencontré Vladimira, étudiante si assidue à ses cours qu'elle en est même devenue son épouse. Près de trente ans plus tard, revenus s'installer à Prague après avoir vécu successivement en France et dans d'autres pays européens, Jean-Pierre, Vladimira et leurs trois filles forment une famille franco-tchèque unie qui, année après année, se rassemble pour célébrer la fête de la nativité aussi bien selon les traditions tchèques que françaises.

Il y a quelques années de cela, lors du dernier dimanche de l'Avent, Jean-Pierre, le papa français, et Vladimira, la maman tchèque, avaient ouvert les portes de leur domicile à Radio Prague. Autour de « cukrovi », ces fameux petits gâteaux de toutes sortes et de toutes les couleurs préparés traditionnellement en République tchèque à l'approche de Noël, Vladimira et Jean-Pierre nous avaient raconté comment se passait Noël dans leur famille franco-tchèque :


Photo: CTK
Un peu paradoxalement, c’est à un spectacle assez sanglant et surtout peu banal auquel on peut assister dans les rues et sur les places des villes et villages tchèques pendant la semaine précédant Noël : partout d’énormes bassines et des marchands qui ne vendent rien d’autre que des carpes, les tuent et les vident sur place ou les vendent vivantes à emporter. La carpe, poisson d’eau douce, est le plat traditionnel de noël de ce pays sans mer qu’est la République tchèque. Ecoutez ce petit reportage réalisé par Alexis Rosenzweig l’année dernière dans les rues de Prague :

Tous les mois de décembre dans les rues de Prague, à côté des traditionnels marchés et sapins de noël, ce sont les carpes qui tiennent la vedette. Des dizaines le soir du réveillon, accompagnées de salade de pommes de terre comme le veut la tradition locale.

Photo: CTK
Tout commence dès le début du mois de novembre, quand tous les étangs du pays sont vidés. Les carpes sont mises dans une eau propre pour les nettoyer de la vase. Une tradition piscicole qui remonte au XVe siècle en Bohême, mais la carpe n’est devenue le plat traditionnel de noël qu’au XIXe siècle.

La vente commence dans les rues aux alentours du 20 décembre : des bassines, une massue, un couteau et une balance et........... vlan !

Photo: CTK
Le vendeur : « Houlà ! J’ai failli me taper sur les doigts Madame ! Un, deux, et voilà et maintenant on plante le couteau, j’vous la pèse, tiens j’la pèse avec le couteau comme ça vous m’payez même le couteau ! »

Environ trois euros le kilo, deux de plus si on laisse au marchand le soin d’achever le poisson. Mais certains préfèrent l’acheter encore vivant, pour faire plaisir aux enfants et pour la fraîcheur du produit.

Pour ceux qui achètent leurs carpes encore vivantes, il s’agit de ne pas traîner en route pour les replonger le plus vite possible dans l’eau, de préférence dans la baignoire, où elles resteront pendant 48 heures :

Photo: CTK
Une acheteuse au bord de sa baignoire : « Après on va les saler et on les laisse reposer. Celle-là, on va la cuisiner ‘au noir’, c’est à dire aux prunes et au vin, et je vais la préparer dès maintenant, et puis la deuxième on va en paner les filets le jour du réveillon. Et puis avec la tête et les entrailles on fait une très bonne soupe de poisson ! »

Mais même si la carpe reste le poisson traditionnel tchèque, la jeune génération préfère de plus en plus les produits moins locaux, comme le saumon par exemple.


Une fois la carpe et le dîner du Réveillon de Noël avalés tout en écoutant, autre tradition, La Missa Pastoralis Bohemica, autrement dit la Messe de Noël tchèque de Jakub Jan Ryba, l’heure vient ensuite des cadeaux dans les foyers tchèques.

Ces cadeaux déposés au pied des sapins sont apportés, toujours selon la tradition locale, par le Petit Jésus, en tchèque Ježíšek, comme nous vous l’avons expliqué en ouverture de cette émission. Pourquoi le Petit Jésus dans un pays souvent décrit comme le pays le plus athée d'Europe voire du monde ? C’est ce qu’avait expliqué il y a quelques années de cela au micro de Radio Prague le prêtre jésuite Petr Kolář :

« D'abord il faut savoir que le noël chrétien et le fait que Ježišek apporte les cadeaux sont chrétiens mais ont des racines païennes. Ces racines païennes sont communes à l'Europe entière. Seulement la coutume n'a pas le même nom. Les Français ont gardé le nom de « noël », ce qui n'a rien de chrétien en soi : c'est au contraire la fête chrétienne qui a repris le nom de « noël ». Tandis que chez nous c'est surtout pendant la période baroque, c'est à dire grosso modo au XVII et XVIIIe siècle, qu'on a baptisé ces coutumes païennes. Et la particularité tchèque est que la fête du solstice a été scindée en deux. Parce qu'on avait aussi une figure païenne qui ressemble au Died Moroz russe, au Père noël français ou au Santa Claus américain. Et nous avons d'abord transféré cet homme, qui apporte effectivement des cadeaux sur son traîneau, sur la fête de Saint-Nicolas. »

« Donc les enfants tchèques sont bénis, parce qu'ils ont deux fois noël en décembre. D'abord le 5 décembre, avec l'ange et Mikuláš (Saint Nicolas), et puis une seconde fois le 24, avec la naissance de Jésus. C'est assez curieux parce que dans la bible, ce sont les bergers qui ont apporté les cadeaux à Jésus. Mais comme Jésus est le grand cadeau pour les chrétiens, alors il est matérialisé pour les enfants, auxquels il faut montrer ce qu'est un cadeau, et Jésus lui-même apporte les cadeaux. Voilà ainsi la fête païenne scindée et rebaptisée. »

Sous le communisme, les Soviétiques avaient tenter d'imposer leur père noël à eux : Died Moroz, Děda Mráz en tchèque. Dans un discours légendaire de l'année 1952, le Premier ministre de l'époque, Antonin Zápotocký, s'employa à expliquer au peuple tchécoslovaque que l'ère du Petit Jésus était définitivement révolue :

« Le Petit Jésus, couché dans le foin de l'étable entre le boeuf et l'âne et sous l'étoile du Berger: c'était le symbole de l'ancien Noël. Pourquoi ? Pour rappeler aux travailleurs et aux miséreux que les pauvres sont inséparables des étables. Si le Petit Jésus est né et a vécu dans une étable, alors pourquoi vous ne pourriez pas y habiter vous ? Pourquoi ne pourraient pas y naître vos enfants ? C'est ainsi que les riches et les puissants parlaient aux pauvres et aux travailleurs. C'est la raison pour laquelle, au temps du capitalisme-roi, quand les riches gouvernaient et les pauvres suivaient, les travailleurs habitaient en nombre dans des étables et leurs enfants y sont nés. Mais les temps ont changé, beaucoup de bouleversements ont eu lieu : le Petit Jésus a grandi, vieilli, une barbe lui a poussé et il est devenu Děda Mráz. Il n'est plus nu ni déguenillé, il est bien habillé avec un bonnet et un manteau de fourrure. De même, les travailleurs et leurs enfants ne sont plus nus ni déguenillés aujourd'hui. Děda Mráz nous vient de l'Est et plusieurs étoiles éclairent son chemin : pas seulement l'étoile du Berger, mais toute une série d'étoiles rouges, sur nos réservoirs, aciéries, usines et chantiers. »

Malgré l'argumentaire exceptionnel bâti par les cadres du parti, les efforts déployés par les communistes sont restés vains... Pour les Tchèques, Ježíšek est tout simplement inséparable des fêtes de noël, au même titre que la carpe panée et la salade de pommes de terre dégustées le soir du réveillon.

Aujourd'hui pourtant, Ježíšek doit livrer un nouveau combat : après sa victoire sur Děda Mráz, c'est cette fois-ci contre le père noël importé de l'Occident : Santa Claus.

Dans la lutte que se livrent le Petit Jésus et Santa Claus pour apporter leurs cadeaux aux enfants tchèques, tous les deux ont leurs fervents partisans : Santa Claus bénéficie lui du soutien de grandes entreprises internationales plutôt douées en marketing intensif.

Et c'est justement un groupe formé par des publicitaires tchèques qui a pris la tête de la résistance contre Santa Claus. Fermement décidés à défendre bec et ongles leur Petit Jésus, ils utilisent les armes de l'ennemi : logos et slogans. Et désormais le combat est livré en ligne : le site Internet www.anti-santa.cz annonce la couleur : renvoyer Santa Claus d'où il vient, « Santa go home ». Martin Charvat est à la base de cette initiative :

« Personnellement nous n'avons rien contre Santa Claus. Ce qui nous gêne, c'est que Santa Claus tente de remplacer notre tradition tchèque. La menace s'amplifie d'année en année. Beaucoup d'entreprises utilisent Santa Claus, non seulement sur les points de vente mais aussi dans leur publicité. Et je me suis aperçu que les enfants tchèques commençaient à confondre Ježíšek, Santa Claus et Mikuláš. Et quand on leur demande de dessiner Ježíšek, ils dessinent un gros grand-père en manteau de fourrure rouge. Notre campagne n'est pas anti-américaine, elle est juste destinée à défendre nos traditions tchèques que nous aimerions conserver. »

Ježíšek sortira t-il vainqueur de ce combat contre Santa Claus, nouvel outsider de ce début du XXIe siècle ? En tout cas, pour tous les bambins tchèques croisés dans les rues de Prague, pas de confusion possible, si une chose est claire, c'est bien l'identité de celui qui leur a apporté des cadeaux :

« Jeeeeeežžžžžžžžžžžííííííííííííííííššššššššeeeeeeeeeeeeekkkkkkkkkkk !!!!! »

C’est donc avec le petit Jésus que s’achève cette émission spéciale Réveillon de Noël et avec elle pour aujourd’hui l’émission en langue française de Radio Prague. Avant de nous quitter, l’ensemble de l’équipe de la rédaction française de Radio Prague vous souhaite un bon et Joyeux Noël – Šťastné Vánoce !