30 ans après, Karel Loprais et son légendaire camion Tatra de nouveau sur la route de l’Afrique

Karel Loprais, photo : Archives de Royal Trust Media

En janvier 1986, Karel Loprais participait au volant d’un camion Tatra T815 pour la première fois de sa carrière à ce qui était encore appelé le Paris-Dakar. Sextuple vainqueur de l’épreuve, celui qui est depuis surnommé « Monsieur Dakar » a grandement contribué, en l’espace de dix-sept participations, à la popularisation du rallye auprès du public tchèque. Trente ans plus tard, ce parfait connaisseur de l’Afrique et du Sahara a repris la route en direction du Sénégal. Parti du centre de Prague samedi, Karel Loprais devrait arriver au Lac Rose, qui était le lieu traditionnel de l’arrivée du « Dakar », le 10 février prochain. Mais cette fois, c’est avec une toute autre ambition que de faire la course que celui qui reste un des plus célèbres pilotes de camion au monde s’est élancé. C’est ce qu’a expliqué au micro de Radio Prague Jan Rajniš. Lui aussi amoureux du désert africain et passionné d’automobile, Jan Rajniš est accessoirement l’interprète du Team Loprais et de cette expédition baptisée « Rêve de Dakar » :

Jan Rajniš,  photo : Archives privées de Jan Rajniš
« L’objectif d’abord est de fêter le trentième anniversaire de la première participation de Karel Loprais et de son Tatra au Paris-Dakar. A la base, l’idée était de refaire le même parcours qu’en 1986, mais en raison surtout des questions de sécurité dans la région, nous avons dû changer l’itinéraire. »

En 1986, le parcours du Paris-Alger-Dakar passait par l’Algérie, le Niger, le Mali, le Burkina Faso et la Mauritanie avant d’arriver au Sénégal. Or, c’est un parcours que vous ne pouvez plus emprunter en raison de la situation dans la région…

« Effectivement. Nous avons beaucoup communiqué avec l’ambassade d’Algérie à Prague pour essayer de trouver une possibilité de passer par Agadès, mais la frontière avec le Niger est fermée. Nous avons donc envisagé de passer par la zone de Polisario. L’idée était de passer par l’Algérie pour ensuite descendre par la Mauritanie. C’est une frontière qui est contrôlée justement par le Front Polisario, mais c’était très compliqué pour obtenir l’autorisation et nous avons donc abandonné. Finalement, la seule possibilité pour traverser le Sahara, mais il ne s’agit plus d’une véritable traversée, est d’emprunter la route Western qui passe par le Maroc et le Sahara occidental avant de rejoindre la Mauritanie pour continuer jusqu’à Dakar. »

Karel Loprais,  photo : Archives de Royal Trust Media
« Le but de cette expédition est aussi d’apporter une aide humanitaire à deux orphelinats à Dakar et de tourner un film documentaire sur le premier Paris-Dakar de Karel Loprais. »

Pour vous qui êtes tchèque, qu’évoquent les noms de Karel Loprais et du Paris-Dakar ?

« Pour beaucoup de Tchèques, Karel Loprais est une sorte de héros. On a beaucoup parlé de lui surtout dans la seconde moitié des années 1980. C’était encore l’époque du communisme… Moi, j’ai eu la chance de me trouver en Algérie en 1986. J’étais à Alger quand Karel Loprais est sorti du bateau qui arrivait en provenance de Marseille. Pouvoir partir avec lui trente ans plus tard est donc quelque chose de très touchant personnellement. Mais pour en revenir à votre question, Karel Loprais était quelqu’un dont on entendait beaucoup parler à la radio. Mais même après la révolution de 1989, il est resté ‘Monsieur Dakar’. »

Karel Loprais,  photo : Archives de Royal Trust Media
Pour quelles raisons les autorités communistes tchécoslovaques de l’époque ont autorisé la participation de Tatra à une course qui était un symbole de l’Occident ?

« Je pense qu’il y avait surtout des raisons économiques. Tatra construisait des voitures vraiment de très bonne qualité, ce que ses nombreux succès sur le Dakar ont d’ailleurs confirmé. C’était un article d’exportation important pour la Tchécoslovaquie. Les usines Tatra ne produisaient pas seulement des camions destinés à un usage ‘normal’, mais aussi militaire. Tatra n’était pas uniquement un constructeur automobile, c’était aussi une marque militaire. A cette époque, la Tchécoslovaquie était un des plus importants exportateurs d’armes au monde. Mais on ne vendait pas que des armes pour se tirer dessus, il y avait aussi des véhicules et du matériel en général. C’est, je pense, la principale raison de la participation de Tatra au rallye : le commerce. »

Thierry Sabine au port d'Alger,  photo : Yelles M.C.A.,  CC BY-SA 3.0
La huitième édition du Paris-Dakar en 1986 a été marquée par la mort notamment de Thierry Sabine, le fondateur du rallye. On sait que pour Karel Loprais, Thierry Sabine était un personnage important. C’est pourquoi dans votre projet vous teniez à lui rendre un hommage qui ne sera finalement pas possible, ses cendres ayant été dispersées dans le désert du Ténéré, un endroit par lequel vous ne pouvez pas passer. Néanmoins, que reste-t-il de cette volonté ?

« Nous voulions effectivement dessiner notre parcours de façon à pouvoir passer par le Niger. Comme ce n’est plus possible, nous n’avons pas vraiment de lieu sur notre itinéraire lié à Thierry Sabine où nous pourrions lui rendre cet hommage. Mais même si nous n’avons rien prévu de concret, son esprit reste avec nous et nous penserons à lui. »

Tamanrasset,  photo : W. Robrecht,  CC BY-SA 3.0
Vous participez à cette expédition en tant qu’interprète. Qu’en attendez-vous personnellement ?

« J’ai un grand rêve depuis mon enfance, que j’ai passée en Algérie. J’ai beaucoup voyagé avec mes parents et leur vieille Škoda 105 dans le Sahara algérien. Nous avons fait toute l’Algérie, mais aussi la Tunisie et le Maroc. Pour moi, il y a une ville qui reste toujours un peu mythique, car je ne l’ai jamais visitée : Tamanrasset (aujourd’hui rattrapée par le terrorisme islamiste, la ville du sud de l’Algérie, capitale des Touaregs algériens, a été le lieu de résidence de Charles de Foucauld, ndlr). Mon rêve serait donc de traverser le Sahara en passant par Tamanrasset et Agadès au Niger. La dernière fois que j’ai essayé de le faire, c’était en 2005. Nous étions partis avec des amis avec une voiture des années 1950, une Volkswagen T1. Nous étions passés par la Tunisie et la Libye avant d’entrer en Algérie par Djanet. Mais ensuite nous avons continué vers le nord pour retourner en République tchèque, et ce même si nous avions trouvé un ancien camion Tatra pour éventuellement poursuivre plus au sud encore. Et cette fois, ce sont les conditions sécuritaires qui ne permettent pas cette traversée centrale du Sahara… Au moins, je ferais la route occidentale le long de la côte. Mais celle qui m’attire le plus est la route de Tamanrasset. »

Škoda 105,  photo : Der Eberswalder,  Public Domain
Comment se déplace-t-on avec une Škoda 105 dans le Sahara ? Ce n’est certainement pas la même chose qu’avec un camion Tatra…

« Evidemment, la Škoda 105 n’était pas conçue pour rouler dans les dunes. Mais c’était une bonne voiture. Elle était équipée d’une traction arrière, ce qui était pratique en hiver en Tchécoslovaquie... Mais nous avons découvert que cela lui permettait de bien passer dans le sable et le fesh fesh aussi. Bon, ce n’est pas un 4x4 non plus : on ne peut pas s’aventurer avec une Škoda 105 comme avec une voiture tout terrain. Mon père avait un peu trafiqué et adapté le moteur. Il fallait notamment faire attention à la température, car la Škoda chauffait beaucoup. Mon père avait toujours beaucoup de pièces détachables et de rechange en cas de panne. Et puis nous partions toujours à plusieurs voitures. Nous n’étions jamais seuls, mais avec des amis pour pouvoir s’entraider en cas de besoin. C’était une époque complètement différente de celle d’aujourd’hui avec la navigation satellite. Avant, on ne pouvait compter que sur la boussole, les cartes et les renseignements des autochtones que vous croisiez. »

Ce qui était la même chose pour les participants du rallye à l’époque…

« Exactement. Cela a tout changé… »