A Roubaix, Štybar est maudit (reportage)

Zdeněk Štybar et Greg Van Avermaet, photo: ČTK

On a bien cru, dimanche après-midi, que Zdeněk Štybar allait signer le plus grand exploit de l’histoire du cyclisme tchèque. Mais comme il y a deux ans, le coureur tchèque a été battu au sprint à l’arrivée de Paris-Roubaix, à l’issue d’une course riche en rebondissements tout au long de laquelle il a été omniprésent. Depuis sa préparation sur les pavés jusqu’au final sur le Vélodrome, Radio Prague a suivi Zdeněk Štybar dans le nord de la France durant trois jours.

Zdeněk Štybar et Greg Van Avermaet,  photo: ČTK
Il est encore trop tôt pour affirmer que Paris-Roubaix est une course maudite pour Zdeněk Štybar. A 31 ans, le Tchèque a encore très certainement quelques prometteuses saisons devant lui. Mais après une sixième place malheureuse en 2013, pour sa première participation à la reine des classiques, une cinquième en 2014 et une deuxième en 2015, l’ancien triple champion du monde de cyclo-cross a de nouveau manqué de très peu d’écrire ce qui aurait été très certainement la plus belle des lignes à son palmarès.

En tête à la sortie du dernier virage, Zdeněk Štybar a finalement vu Greg Van Avermaet fondre sur lui et le devancer d’un bon vélo sur la ligne d’arrivée. Rageant pour le coureur tchèque, que beaucoup ont vu vainqueur lorsqu’il a lancé le sprint. Très marqué physiquement et moralement à l’arrivée, Štybar est d’abord resté prostré de longues minutes sur une chaise dans la tente plantée au milieu la pelouse, le regard dans le vide, avant de venir s’exprimer à notre micro :

« Si je pouvais être vulgaire au micro, je vous dirais très précisément ce que je ressens… C’est une grande déception, car j’étais en position de pouvoir gagner. Mais le sprint est très particulier à Roubaix. C’est le seul de la saison sur un vélodrome. Peut-être que j’aurais pu attendre cinquante mètres de plus avant de le lancer. Mais j’étais obligé d*e prendre un risque si je voulais gagner. C’est comme ça, cela ne sert à rien de refaire la course. J’ai fait le maximum tout en sachant que ma priorité au départ était d’aider Tom Boonen. »

En se repassant malgré tout dans sa tête, dimanche soir, le film de ce 115e Paris-Roubaix, le plus rapide de l’histoire (vitesse moyenne de 45,204 km/h), Zdeněk Štybar, même s’il n’en a bien entendu rien dit, a peut-être secrètement regretté les efforts fournis durant l’essentiel de la course pour son leader. Car pour la dernière de la carrière de Tom Boonen devant l’immense foule de ses supporters, le Tchèque se devait d’abord de se mettre au service de son illustre équipier belge, comme il nous l’avait confié samedi, la veille du départ, à Compiègne :

« J’ai de très bons souvenirs de cette course. Mais cette année, les choses se passeront sans doute un peu différemment pour moi. La stratégie est claire : notre rôle à tous dans l’équipe consistera d’abord à aider Tom à gagner son cinquième pavé (le trophée qui récompense le vainqueur de Paris-Roubaix, ndlr). Il rentrerait dans l’histoire, ce serait vraiment formidable d’y parvenir. »

Tom Boonen dans le groupe de poursuivants à quelques dizaines de secondes derrière, c’est donc finalement bien lui, Zdeněk Štybar, qui s’est retrouvé en tête au sortir des derniers secteurs pavés. Echappé en compagnie de Greg Van Avermaet et du Néerlandais Sebastian Langeveld, le coureur Quick-Step, au bord des crampes à l’approche de Roubaix comme il nous le confiera plus tard, n’a alors pas eu les ressources nécessaires pour aller au bout de ses intentions. Lui aussi très déçu, son manager Patrick Lefevere a toutefois salué le travail de son protégé tchèque :

Zdeněk Štybar,  Greg Van Avermaet,  Sebastian Langeveld,  photo: ČTK
« Štybar a fait le maximum, c’est dommage. Sur Paris-Roubaix, il n’y a pas de plan, c’est impossible. C’est simple, il faut pédaler et être devant, ce qu’a fait Zdeněk… Dans le final, il a fait aussi ce qu’il devait faire. Il a été battu par Van Avermaet, ce n’est pas une honte. Il fait une saison formidable. Mais Zdeněk comptait parmi nos leaders, nous ne l’avions pas oublié. Tout le monde sait qu’il aime beaucoup cette course, il monte de nouveau sur le podium et il ne lui a pas manqué grand-chose… Van Avermaet n’a pas gagné avec une minute d’avance, mais au sprint. Zdeněk aurait pu lui aussi gagner, mais voilà… »

Vainqueur à Roubaix du premier Monument* de sa carrière, Greg Van Avermaet, grand favori annoncé de la course avec Tom Boonen et le Slovaque Peter Sagan, a confirmé qu’il était l’homme fort de ce début de saison. Et s’il a devancé Štybar dans le sprint, c’est aussi parce que le coureur flamand s’était minutieusement préparé à une telle arrivée :

« C’est très beau de gagner de cette manière, surtout que j’avais fini deuxième du Tour des Flandres, qui est pour moi la plus belle de l’année. Mais Paris-Roubaix est une course mythique et historique. Je m’étais entraîné pour ce sprint, car c’est la seule course qui se termine sur un vélodrome. Ce sprint n’est pas facile, alors cette préparation m’a aidé. »

« On a vu Štybar, grand spécialiste de Paris-Roubaix, prendre deux ou trois longueurs d’avance, puis Van Avermaet a surgi… »

Analysait pour sa part Christian Prudhomme, le directeur d’ASO, la société organisatrice de Paris-Roubaix.

Christian Prudhomme,  photo: Clément Choulot
« Le champion olympique rêvait de décrocher enfin un Monument, et il remporte la plus belle des classiques au terme d’un final qui a donné des frissons. Van Avermaet est un coureur extrêmement élégant sur un vélo. Il était déjà très fort sur le Tour des Flandres le dimanche précédent, où il avait fini deuxième, et avait presque tout gagné avant. Il concrétise donc sa domination sur Paris-Roubaix en ayant eu des nerfs jusqu’au bout. J’ai même cru qu’il ne gagnerait pas, car Štybar avait fait un écart, mais il est magnifiquement revenu. On savait qu’il était le meilleur sprinter dans le groupe… Quant à Štybar, il finit deuxième pour la deuxième fois en deux ans… Il est toujours là, toujours placé. Mais vous savez, Gilbert Duclos-Lasalle avait fait deux fois deuxième de Paris-Roubaix avant de gagner deux fois de suite dix ou douze ans après. Il ne faut donc pas que Štybar se désespère. Il doit y croire, c’est une des clefs de base pour réussir. Certains connaissent parfois beaucoup d’échecs avant de gagner. En tous les cas, il a montré une nouvelle fois qu’il était très fort et que Paris-Roubaix est un course faite pour lui. »

Un destin à la Gilbert Duclos-Lasalle, d’abord héros malheureux avant de devenir « héros tout court », deux fois vainqueur, sur les pavés de l’Enfer du Nord, c’est tout le mal que l’on souhaite désormais à Zdeněk Štybar. Dans un rôle cette fois non plus d’équipier de luxe mais de leader, le Tchèque pourra alors courir différemment de dimanche, où ses nombreux efforts pour son leader lui ont peut-être coûté la victoire :

Zdeněk Štybar,  photo: Thomas Ducroquet,  CC BY-SA 3.0
« J’ai ressenti des crampes à partir du 180e kilomètre. Quand j’ai rejoint Langeveld et Jurgen Roelandts en tête de la course, j’ai même pensé que je n’irais pas au bout. Mais ma priorité était alors encore toujours d’attendre Tom Boonen, j’espérais qu’il parviendrait à faire la jonction. Ce n’est qu’à quatre kilomètres de l’arrivée que j’ai reçu pour consigne de jouer ma carte pour la victoire. Mais ce n’est pas évident quand vous avez d’abord roulé pour quelqu’un d’autre pendant toute la course. C’est autre chose que de prendre le départ avec la seule victoire en tête. Cette deuxième place finale est frustrante, mais nous avons une petite fête avec Tom ce dimanche soir pour ses adieux, et je pense que cela ira mieux après la deuxième bière… »

Et même s’il a vite finalement retrouvé son sourire malgré sa déception, Zdeněk Štybar sait que cela ira encore bien mieux lorsqu’il aura enfin gagné ce Paris-Roubaix qui lui échappe, la course qui sied sans doute le mieux à ses qualités. Mais comme le remarque Bernard Hinault, que nous avons croisé à Compiègne samedi au moment de la présentation des équipes, si le Tchèque est un prétendant naturel à la victoire, ce ne seront toujours là que des belles paroles tant qu’il ne sera pas parvenu à s’imposer :

« C’est comme pour les autres… Il y a beaucoup de coureurs qui sont candidats à la victoire. Pour cela, il faut être bien placé, bien marché et ne pas avoir d’ennuis. Mais il n’y a, selon moi, pas de raisons que Štybar ne puisse pas le faire. Il faut être adroit pour savoir passer sur les pavés, et son expérience en cyclocross peut l’aider. On ne parle pas beaucoup de lui avant la course, mais vous savez, la seule chose qui compte, c’est la victoire. Or, il n’a pas encore gagné… Le danger pour Quick-Step serait de ne jouer qu’une seule carte. Certes, tout le monde veut que Boonen gagne, mais il est possible qu’il se retrouve avec tout le monde sur le dos, et il faudra alors qu’il soit très, très fort pour sortir du piège. Alors, pourquoi ne pas jouer une autre carte, et éventuellement celle de Štybar ? Tout dépendra si on veut absolument que ce soit Boonen qui gagne ou si on veut qu’un coureur de l’équipe gagne. Entre Sagan, qui s’est raté sur le Tour des Flandres, Boonen et tous les autres, il est impossible de faire un pronostic. Qui sait pour Štybar ? Peut-être gagnera-t-il Paris-Roubaix un jour, mais attention à ce qu’il ne devienne pas trop vieux. C’est pourquoi plus vite c’est fait, mieux c’est ! »

Sans aucun doute, mais en attendant ce grand jour, Zdeněk Štybar se doit encore de prendre son mal en patience avant, peut-être, de signer enfin cette grande victoire qu’il mérite certainement.

* Le terme « Monuments » désigne ce qui est considéré, en raison de leur histoire, de leur tradition et de leur difficulté, comme les cinq plus grandes classiques – courses d’un jour – de la saison : Milan-San Remo, le Tour des Flandres, Paris-Roubaix, Liège-Bastogne-Liège et le Tour de Lombardie.