Hockey - Fin du lock-out en NHL : la fin aussi de Jágr en Extraliga tchèque

Jaromír Jágr, photo: CTK

Après plusieurs mois de grève, la NHL, la prestigieuse ligue nord-américaine de hockey sur glace, va prochainement reprendre ses droits. Une triste nouvelle pour une grande partie du public tchèque, qui s’était habitué ces derniers temps à voir évoluer sur les patinoires du championnat national quelques-uns des meilleurs joueurs que compte actuellement le pays, à commencer par le légendaire Jaromír Jágr.

Pour les amateurs de hockey sur glace, c’est à la fois une bonne et une mauvaise nouvelle. Dimanche, les dirigeants de la NHL et le syndicat des joueurs de la prestigieuse ligue nord-américaine ont en effet annoncé avoir trouvé un accord pour mettre fin à la grève qui paralysait la saison depuis le mois de septembre dernier. Cette décision devrait permettre une reprise des matchs d’ici au 19 janvier au plus tard. Pour les fans du meilleur championnat de hockey au monde, notamment canadiens et américains, c’est donc une bonne nouvelle. Mais ça l’est nettement moins pour le public européen, et d’abord tchèque habitué aux rencontres de l’Extraliga, la ligue nationale. L’annonce de la fin de la grève en NHL signifie en effet le départ de nombreux joueurs qui, le temps du lock-out, étaient revenus dans leur pays et leurs clubs d’origine.

Jaromír Jágr,  photo: CTK
Plus concrètement, treize joueurs tchèques estampillés NHL évoluaient dans l’Extraliga ces dernières semaines, y compris la superstar Jaromír Jágr (http://www.radio.cz/fr/rubrique/sport/hockey-jaromir-jagr). Dimanche, la grande majorité d’entre eux n’ont d’ailleurs pas disputé avec leurs clubs respectifs les matchs de la 37e journée du championnat tchèque. C’est le cas par exemple du désormais ex-gardien du Sparta Prague, Michal Neuvirth, qui va prochainement retrouver la franchise avec laquelle il est sous contrat, les Washington Capitals :

« J’ai appris la nouvelle dans le train sur la route d’Ostrava. Il était prévu que je joue, mais comme l’accord en NHL avait été signé quelques heures plus tôt, nous avons finalement décidé de me laisser en tribune. J’ai déjà réservé mon billet d’avion et je rentre en Amérique dès mardi matin. Même si je remercie le Sparta de m’avoir accueilli pendant la grève, je suis vraiment content qu’un accord ait été trouvé en NHL, et la seule chose qui m’intéresse désormais, c’est ce qui va se passer en Amérique. »

Le lock-out en NHL aura donc duré près de quatre mois. Le principal point de désaccord portait sur le partage des plus de trois milliards de dollars de revenus générés par la ligue américano-canadienne. Quatre mois pendant lesquels certains clubs tchèques, mais aussi russes ou suisses notamment, ont profité de la situation en employant donc provisoirement quelques joueurs habitués aux joutes de la NHL. Un recrutement fait avec l’idée d’améliorer à court terme les résultats sportifs, mais pas seulement, comme l’explique Michael Frolík. Si lui aussi s’apprête à retrouver la NHL avec les Blackhawks de Chcago, c’est le maillot de Chomutov, équipe du bas de tableau de l’Extraliga, que l’attaquant tchèque a porté pendant ces quelques mois de grève :

Michael Frolík,  photo: CTK
« Je pense que c’était surtout une très bonne chose pour les spectateurs. Avoir tant de joueurs NHL dans des équipes tchèques, et surtout des joueurs de telle qualité, ça n’arrive quand même pas tous les ans. Je pense que la qualité des deux championnats, la NHL et l’Extraliga, est difficilement comparable. Pour le public, c’est donc une occasion unique et je pense qu’il en a bien profité. »

Cet avis n’est cependant pas partagé par tout le monde. Car si tous, des joueurs aux dirigeants en passant bien entendu par les médias, s’accordent pour se réjouir que le public a été nettement plus nombreux cet automne et cet hiver que lors des débuts de saison précédents, certaines voix critiques se sont néanmoins élevées, comme celle de Milan Razým, l’entraîneur de Plzeň, équipe actuellement en tête de la saison régulière de l’Extraliga :

HC Škoda Plzeň - Rytíři Kladno,  photo: CTK
« Je pense que les Suédois, par exemple, ont mieux appréhendé la situation que nous. Les clubs ont dit aux joueurs qu’ils les engageaient pendant la grève à la seule condition qu’ils signent un nouveau contrat et restent dans le club jusqu’à la fin de la saison quelle que soit l’évolution de la situation en NHL. Ici, on a pris des joueurs parfois pour une durée seulement de quinze jours ou d’un mois… Je ne remets pas en cause leurs qualités, bien au contraire, ce sont d’excellents joueurs. Mais ils prennent la place d’autres joueurs qui ne jouent pas pendant ce temps-là et qui devront quand même finir la saison quand les joueurs de la NHL seront repartis. Je ne pense pas que ce soit quelque chose de très positif pour notre championnat. »

Le gardien jusqu’à dimanche dernier remplaçant du Sparta Prague fait précisément partie de ces joueurs laissés sur le côté pour laisser la place aux « stars » de la NHL. Bien que initialement recruté en fin de saison dernière pour garder la cage du prestigieux club de la capitale, c’est finalement du bord de la glace et non pas sur celle-ci que Marek Schwarz a « participé » aux matchs du Sparta, contraint de regarder impuissant évoluer son concurrent :

« C’est une situation compliquée. Je ne souhaite rien de mal à personne. C’est un sport d’équipe et l’intérêt de tous les joueurs est d’abord de gagner le plus de matchs possibles. Et pour cela vous avez besoin d’un bon gardien, ce que Michal Neuvirth est incontestablement. Mais en même temps nous étions en concurrence pour le même poste. Un gardien de but, il n’y en a qu’un seul qui peut jouer dans une équipe. Et forcément, quand vous ne jouez pas, vous n’avez qu’une envie : même si vous vous entendez bien avec lui, c’est de prendre la place de votre coéquipier. »

Tomáš Král,  photo: Filip Jandourek,  ČRo
Confrontés à ce dilemme sportif, un certain nombre de clubs tchèques ont d’ailleurs préféré ne pas engager de joueurs NHL et continué à faire confiance à l’effectif dont ils disposaient en début de saison, avant la confirmation de la grève en Amérique. Mais comme souvent dans le sport professionnel, cet aspect n’a pas été le seul pris en considération par les dirigeants, comme l’explique le président de la Fédération tchèque de hockey, Tomáš Král :

« Il y a deux façons de voir les choses. Pour le public et l’attractivité de l’Extraliga, c’est effectivement formidable de voir de tels joueurs à l’œuvre. Mais du point de vue des clubs et de leurs dirigeants, c’est un peu différent. La situation n’était pas simple. Personne ne savait combien de temps allait durer la grève. On savait qu’un accord pouvait être trouvé d’un moment à l’autre. Même si le public était plus nombreux, c’était délicat aussi d’un point de vue économique pour les clubs. Il fallait assurer les joueurs qui étaient sous contrat en NHL. C’était quelque chose de très onéreux, et sans ça, il aurait été impensable de les faire jouer. »

Dans ce contexte, le club de Kladno aura constitué une exception à l’échelle de l’Extraliga. Propriétaire de son club formateur qui l’a vu naître au hockey professionnel à la fin des années 1980, Jaromír Jágr a réuni pas moins de cinq joueurs NHL dans la petite ville de Bohême centrale, et pas les premiers venus. Avec les défenseurs Tomáš Kaberle, Marek Židličký, et les attaquants Tomáš Plekanec et Jiří Tlustý, Jaromír Jágr a constitué un cinq de départ à faire rêver même le sélectionneur de l’équipe nationale. Alors que dire de l’entraîneur de Kladno, Zdeněk Vojta ?

HC Škoda Plzeň - Rytíři Kladno,  photo: CTK
« Regardez le nombre de personnes qui se sont mises ou se sont remises à suivre le hockey. Avec Kladno, partout où nous sommes passés, nous avons presque toujours joué dans des salles à guichets fermés. A Prague, nous avons organisé deux matchs à l’O2 Arena, et à chaque fois nous avons fait le plein avec 17 000 spectateurs. On peut dire ce qu’on veut, mais je pense que c’est une bonne chose pour notre hockey, même s’ c’est seulement passager. D’un point de vue professionnel, pour moi en tant qu’entraîneur, travailler avec de tels joueurs, et pas seulement Jaromír Jágr, a été une expérience très enrichissante. »

Forcément, et même s’ils étaient préparés à cette éventualité, c’est avec quelques regrets que l’annonce de la fin de la grève en NHL a été accueillie à Kladno. Déçu comme ses partenaires de ne pas pouvoir aller jusqu’au bout de l’aventure et de la saison avec ses glorieux partenaires, le défenseur Marek Černošek livre son sentiment, que l’on pourrait presque qualifier de vaguement mélancolique :

Marek Černošek,  photo: le site oficiel du Kladno
« C’est la réalité. Cela faisait déjà plusieurs fois qu’une fin de la grève avait été annoncée ou espérée. Mais à chaque fois, la décision avait été remise à plus tard et cette situation nous laissait dans l’attente et même une certaine crainte. Je ne pense pas que nous soyons la seule équipe de la ligue qui sera affectée par les départs des joueurs de la NHL. Mais c’est sûr que, médiatiquement, c’est d’abord de nous dont tout le monde va parler. Et c’est vrai que les joueurs les plus médiatiques étaient chez nous. Personnellement, je pense que leur passage pendant quelques mois a été une très bonne chose. D’abord pour le hockey tchèque et la ligue qui a été beaucoup plus intéressante pour le public, mais aussi pour nous joueurs. Pouvoir jouer avec de telles vedettes et partager leur quotidien dans les vestiaires et sur la glace est quelque chose d’exceptionnel dans une carrière. »

Mais finalement, l’opinion la plus éclairée est peut-être celle de l’entraîneur du Slavia Prague, Vladimír Růžička. Coach parmi les plus respectés du pays, l’ancien partenaire de Jaromír Jágr en équipe nationale, notamment lors de la fameuse conquête de la médaille d’or olympique aux Jeux de Nagano en 1998, possède un avis tranché sur les bienfaits et méfaits de la grève de la NHL sur l’Extraliga. Et pour Vladimír Růžička, les salles nouvellement pleines du championnat tchèque s’expliquent très simplement :

Vladimír Růžička,  photo: Tomáš Adamec,  ČRo
« Cet intérêt, nous le devons d’abord à Jaromír Jágr. C’est lui qui remplit les stades et personne d’autre. Il y a certes d’autres joueurs de NHL, mais il y a un seul et unique Jaromír Jágr. C’est un phénomène à lui seul et il n’en existe pas d’autre comme lui. Je pense qu’avec son départ les affluences dans les stades vont baisser, mais c’est aussi le défi pour les joueurs qui restent : prouver que même sans Jágr et les joueurs de la NHL, ça vaut le coup de continuer à suivre l’Extraliga. »

Le légendaire entraîneur n’a sans doute pas tort, et les amateurs purs et durs de hockey lui donneront même très certainement raison. Mais sans Jágr et les autres joueurs de la NHL, ce ne sera quand même plus tout à fait la même chose…