Faux-amis : pas de « faux pas », un « kanár » n’est pas un « canard» (2e partie)

Photo: Cédric Courbois / Public Domain

Salut à tous les tchécophiles de Radio Prague – Ahoj vám všem, milovníkům češtiny Radia Praha ! Nous saluons aussi tous les amis, les vrais, que vous êtes – Ahoj přátelé, mais aussi les autres, les faux, plus précisément les « faux-amis » - « falešní přátelé », comme on les appelle en linguistique, qui eux, toutefois, à la différence de nos vrais amis tchécophiles, ne nous écoutent pas, ni ne nous lisent. Ces faux-amis franco-tchèques, nous avions commencé à les évoquer dans notre dernière rubrique à travers notamment les mots « démonstration » et « demonstrace » ou encore « manifestation » et « manifestace », dont les sens ne sont pas identiques et peuvent parfois nous amener à nous tromper dans leur usage. Mais les exemples que nous pouvons citer sont bien plus nombreux. C’est donc la « prezentace », un mot qui, lui, n’est pas un faux-ami, de quelques-uns d’entre eux que nous vous proposons dans ce nouveau numéro…

Que l’on trouve des faux-amis dans des langues appartenant à la même famille n’est guère étonnant. Ainsi, le tchèque, le slovaque et le polonais, les langues slaves de trois peuples partageant les mêmes frontières, en possèdent un nombre relativement important. Cela est logique : la majorité des mots de ces trois langues possèdent une même origine, seul leur sens ayant évolué avec le temps et selon leur usage dans différentes régions. En revanche, on peut parfois s’étonner de l’existence de ces faux-amis dans les langues de familles différentes, comme le sont le tchèque, langue slave donc, et le français, langue romane. Précisons ici encore que des faux-amis, à savoir donc une paire de mots qui se ressemblent par la forme mais qui ont des sens complètement ou partiellement différents, ne sont en aucun cas des faux-sens, une erreur consistant à interpréter d’une manière erronée le sens précis d’un mot.

Puisque nous parlons de « faux », prenons comme premier exemple le mot « faux pas », qui s’écrit et se prononce exactement de la même manière en tchèque. En français, vous le savez, « faire un faux pas » signifie d’abord « trébucher », par exemple faire une contre-performance dans une rencontre sportive, mais aussi, alors au sens figuré, « commettre une erreur, un impair ». Il s’agit généralement d’une maladresse embarrassante dans un certain contexte social, d’un manquement à ce que l’on appelle et à ce que l’on considère comme « les bonnes manières ». Bref, un faux pas est une gaffe.

Foto: Valentina Frate / Freeimages
En tchèque également, on retrouve ce second sens figuré, mais celui-ci peut aussi différer dans la mesure où il n’en retourne pas nécessairement d’une parole ou d’un acte maladroit, mais plutôt malheureux. Analysons l’exemple suivant que nous avons pris au hasard : « Byli jsme se na té oslavě, a představte si to faux pas! Jubilantovi sfouknul větrák paruku! », soit : « Nous étions à cette fête, et imaginez ce faux pas ! Le ventilateur a fait s’envoler la perruque de la personne qui fêtait son anniversaire. » On le constate, il ne s’agit pas tout à fait (même pas du tout) de la même chose, un faux pas désignant ici une situation certes embarrassante comme en français, mais une situation dont le principal concerné n’est pas forcément responsable. Dans le cas concret de notre exemple, il en est même la victime.

Autre exemple de faux-amis avec les mots français « canard » et tchèque « kanár ». Détrompez-vous, vous vous en doutez, un « kanár » n’est pas un « canard ». Certes, il s’agit bien d’un oiseau, mais pas de l’oiseau aquatique que nous connaissons tous et que les Tchèques apprécient tant voir grillé, accompagné de knedlíky, de chou et arrosé de son jus de cuisson. Non, le « kanár » tchèque n’a certainement pas sa place dans une assiette et ne possède ni pattes palmées, pas plus que de bec caractéristique. Sa place se trouve plutôt dans une cage (du moins dans nos froides contrées) puisqu’il s’agit d’un canari. En effet, ce mot tchèque « kanár », comme le français « canari » d’ailleurs, tire son origine de l’espagnol et du substantif « canario », à savoir un serin des îles Canaries, de couleur jaune verdâtre, un oiseau que les Espagnols importaient en Europe.

Photo: Kristýna Maková
Pour votre gouverne, sachez quand même que le canard en tchèque se dit « kachna ». Et là, il est intéressant de noter que le mot désigne non seulement l’oiseau, mais aussi, dans un usage familier, une fausse nouvelle, une information sujette à caution transmise par la presse. En revanche, un « kachna » n’est pas un « journal », comme cela est le cas en français.

Photo: Dako99,  CC BY-SA 3.0 Unported
Et puisque nous sommes confortablement installés à table avec notre assiette de canard et notre journal, restons-y et passons à un autre plat, à un autre animal aquatique, un des poissons les plus consommés en République tchèque, roi des étangs de Bohême du Sud : la carpe, qui, panée, devient le plat traditionnel du réveillon de Noël. En tchèque, une « carpe » se dit « kapr », un mot qui ressemble fortement dans la forme à celui de « carpe » mais qui, en français, évoque aussi une « câpre », le bouton floral du câprier qui, confit dans le vinaigre ou conservé dans du vin, sert de condiment notamment dans la cuisine méridionale. Mais en tchèque, une « câpre » devient « kapara »... Notez ici quand même, et nous avons vérifié, que même si les Tchèques ne sont pas de grands consommateurs de câpres, il existe bien des recettes de « kapr s kapary », autrement dit de « carpe aux câpres » (quelqu'un a déjà goûté?)...

Photo: Štěpánka Budková,  Radio Prague Int.
…Comme il existe des recettes de carpe aux champignons. Mais de ce mot « champignon », ou tout du moins du mot tchèque « žampión », il convient de se méfier. Non pas parce que certains de ces champignons sont toxiques et dangereux à la consommation, mais surtout parce que les Tchèques sont de vrais amateurs et fins connaisseurs de champignons, comestibles cela s’entend. Ces spécialistes du « champipi », comme les appelait Louis de Funès dans « Ni vu ni connu », ces ramasseurs (ou cueilleurs ?) que l’on voit partout dans les forêts du pays lorsque les conditions météo sont propices, ont même un nom propre pour les désigner en tchèque. Ils sont appelés « houbaři », un mot qui provient de « houba », le substantif qui désigne l’ensemble des champignons existants, ainsi que, et ce n’est pas inintéressant de le savoir, une éponge, et on devine là facilement pourquoi.

Photo: Kristýna Maková
Ainsi donc, en tchèque, le mot « žampión » (prononcez « jampionne »), à ne pas confondre à l’oreille avec le mot « šampion » (prononcez « championne » même s’il s’agit d’un « champion »), ne désigne pas tous les champignons, mais uniquement l’agaricus bisporus, mieux connu en France sous le nom de « champignon de Paris », voire de couche, car il s’agit d’une espèce rare à l’état sauvage et essentiellement cultivée.

C’est ainsi, avec les champions du champignon que sont donc les « houbaři » que s’achève la deuxième partie de notre petite série consacrée aux « faux-amis franco-tchèques ». Ces faux-amis, nos chers amis, nous les retrouverons encore dans notre prochaine rubrique, car il y en a encore un p'tit paquet. D’ici-là, portez-vous du mieux possible – mějte se co nejlíp !, portez le soleil en vous – slunce v duši, salut et à bientôt – zatím ahoj !